Chapitre 4 (2/2)

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Jules s'empressa de réviser sa géographie une fois rentré chez lui. Rapidement, le dîner arriva. Trop rapidement pour que Jules se remette de ses émotions. D'autant que Bébé était bien contrarié. Et pour encore longtemps. Puisque la nausée ne l'envahit pas cette fois-ci, le garçon s'efforça de manger, sans appétit.

En face de ses parents, la dernière envie de l'adolescent était de parler. Pour sûr, le repas ne serait pas des plus agréables. Si Harry et Amélie prirent quelques instants pour s'échanger les potins de leurs collègues, autour de la table on n'entendit bientôt plus que les couverts qui s'entrechoquaient périodiquement. Dommage pour Jules : sa mère n'appréciait pas la mélodie. Une fois ses boucles brunes remises parfaitement en place, elle ne manqua pas d'intervenir :

— Comment s'est passée ta journée, Jules ?

— Bien.

Son ton sec ne satisfit pas Amélie. Tant pis pour elle ; Jules avala une cuillère de soupe aux potimarrons sans développer davantage. Si le garçon en voulait toujours à sa mère pour l'incident de la veille, c'était surtout la dispute avec Luna qui le frustrait. Dans tous les cas, il n'avait pas envie de discuter.

— Dis, tu veux bien me répondre correctement ?

— Mais je n'ai rien à dire.

— Jules, parle mieux à ta mère, enfin !

Le garçon se crispa. Il manqua de faire tomber la cuillère de purée qu'il était en train de se servir. Son père, lui qui n'osait jamais intervenir entre la mère et le fils, même lui se tournait contre Jules maintenant !

S'ensuit un échange de regards que l'adolescent ne s'imaginait pas perdre. Les yeux de Harry, aussi noirs que ses cheveux, transpiraient la peur du conflit. Jules s'était toujours demandé s'il ne voyait pas là un contre-coup de la dispute familiale entre Harry, sa fratrie et sa mère, mais jamais son père n'acceptait lui en parler.

Ce dernier commença à s'affaiblir ; il s'enfonça dans sa chaise. Jules appuya ses avant-bras sur la table. Soudain la mère intervint. Voix forte, regard glacial : on ne gagnait pas face à elle. Le garçon recula lorsque Bébé lui lança un coup.

Avec sa tempe qui pulsait toujours plus, Jules préféra garder le silence que de commencer à s'énerver. Une nouvelle vague de reproches l'assaillit, mais le garçon ne répondit toujours pas. Quelques « oui » étouffés dans un effort, rien de plus. En revanche, dans sa tête, Bébé n'était pas le seul irrité.

— Je n'aime pas ton comportement ces temps-ci, ajouta sa mère. Je ne veux pas d'un fils insolent.

Pourquoi tu m'as mis au monde, dans ce cas ?

Le plat de purée terminé, Jules avala un yaourt et s'enfuit dans sa chambre. Amélie soupira sans chercher à l'arrêter. Le père n'ajouta rien.

Jules souffla aussi fort qu'il claqua sa porte. Comme premier réflexe, il s'affala le dos contre le matelas, sa main sur le front, la mâchoire toujours serrée. Un instant, il crut ne pas pouvoir se retenir de pleurer autant que Bébé.

Comment est-il arrivé dans sa chambre, déjà ? Comme chaque dispute, il s'emportait en oubliant le point de départ. A vrai dire, sur le coup, sa mère importait peu ; Jules pensa surtout à la Luna hébétée qu'il avait abandonnée. Elle n'avait plus donné de nouvelles depuis.

Autour du garçon, tout s'embruma. Le plafond blanc forma comme des vagues de tâches plus ou moins grises. Puis, quelque chose de dur et froid bougea contre sa poche. Parmi l'océan du plafond, un halo violet apparut.

— C'est maintenant que tu te transformes, toi !

— Tu ne t'imaginais tout de même pas que j'allais sortir dans les salles et couloirs bondés où tu traînais toute la journée, ironisa Amé.

La première réaction de Jules fut la colère, que sa voix trop faible n'exprimait que trop peu. Cette Amé, sensée le débarrasser de Bébé, apparaît trop tard pour le calmer. Donc même le fantastique ne fonctionne pas contre lui ?

Le garçon se concentra pour canaliser l'insupportable comme il pouvait. Une vague de nausées l'assaillit, il la réprima de justesse. Une fois la vision plus claire, Jules se releva en position assise. Amé croisa les bras.

— Tu as eu un comportement bien puéril avec ton amie, dit-elle.

— Tu restes cachée dans ta pierre, mais tu observes tout, on dirait.

— Pour cause : je suis là pour t'aider à t'occuper de Bébé. Et ta fichue jalousie ne lui fait que du mal. Tu devrais arrêter d'être aussi désagréable.

— Mais je ne veux pas m'occuper de Bébé, s'indigna Jules. J'en veux plus ! J'en veux plus de ce môme qui pleure et qui donne envie de me fracasser le crâne ! Et je ne veux pas non plus d'une deuxième mère. Une seule, c'est déjà beaucoup, alors laisse-moi tranquille.

Il avait parlé trop vite. La main toujours contre la tempe, le garçon haletait. À trop s'énerver, son corps tremblait tout seul ; Bébé n'avait pas apprécié ses paroles. Amé laissa un instant à Jules pour se calmer. Lorsque sa respiration s'apaisa, la petite fée reprit :

— Désolée mon garçon, mais j'ai pour mission de t'aider ; je ne compte pas te laisser tranquille.

Jules détourna le regard. Pas seulement car la lumière lui agressait les yeux. Malgré tout, il écouta.

— Des comme toi, j'en ai vu passer des dizaines. Si Bébé pleure autant, c'est avant tout car tu ne le fais pas assez toi-même. Sans lui, ton corps exploserait à force de tout supporter.

— C'est ridicule, se braqua à nouveau Jules.

— Bébé se plaint depuis ta dispute, n'est-ce pas ? Ose me dire qu'elle ne t'a pas affecté.

Amé décroisa les bras et se plaça à hauteur des yeux bleus du garçon. Sur son petit visage, Jules découvrit une immense compassion, un regard que seuls Luna et Jérémy lui avait offert jusque-là. L'améthyste attendait une réaction de Jules sans dire mot. La main toujours contre sa tempe, celui-ci baissa la tête.

— Evidemment, que je regrette, avoua-t-il. Je regrette, de m'être emporté. En cinq ans d'amitié, on ne s'était encore jamais disputés comme ça. Luna doit me détester, et elle a raison.

— Dis-le lui.

Le garçon lâcha sa tête et la leva vers Amé. Ce qui enflamma sa tempe.

— Maintenant ? Béa-t-il.

— Garder tes remords pour toi est la pire des solutions, continua la fée. Tu dois lui dire ce que tu ressens et t'excuser. Avec ton portable, tu peux même le faire tout de suite, n'est-ce pas ?

Il était posé sur la table de chevet. Un sourire triste aux lèvres, Jules l'attrapa. Mais que pouvait-il écrire ? Il n'y réfléchit pas longtemps avant de pianoter son message. Le temps lui avait appris à s'exprimer dans la plus grande des fluidités avec sa meilleure amie.

— C'est bon, annonça le garçon. Plus qu'à attendre sa réponse.

Il se tourna vers Amé, mais à la place d'une petite fée, Jules fit face à une pierre d'un violet majestueux. La tête toujours lourde des cris de Bébé, il la reposa sur la table de chevet, avala un médicament, s'affala à son bureau, puis ouvrit son livre de physique, son portable à portée de main. Pourvu que Bébé se taise, ou il se fracasserait la tête contre le mur. Il ne manquerait plus pour Jules qu'il ne puisse plus travailler ! 

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant