La pluie crépitait sur le macadam froid d'hiver. Dans la rue passaient quelques personnes âgées sous leur parapluie, qui accompagnaient leurs petits-enfants, prêts à n'importe quoi pour se jeter dans les flaques d'eau. Comme chaque mercredi après-midi, tout leur semblait permis.
C'était le grand jour. Accablé par la pluie et les doutes, Jules se tenait à l'embranchement de la rue. Le grand jour...
Luna l'avait accompagnée jusqu'au café, mais avait dû le laisser là. Seul. Dès cet instant, l'appréhension et l'angoisse l'avaient suivi et le suivaient. Mais il était trop tard pour laisser le manque de courage prendre le dessus.
Doucement, le garçon s'avança. Il manqua de glisser sur le trottoir mouillé avant d'entrer dans le lieu de rendez-vous.
— Bonjour, lui adressa le serveur, installe-toi.
Jules serra les dents à l'entente du tutoiement. Il n'était même pas un habitué ! À seize ans, il méritait bien une once de respect, tout de même.
Un peu frustré, il s'avança vers une table pour deux, celle au fond de la pièce, proche de la fenêtre. À droite de celle-ci, une photographie d'un terril décorait le mur. Jules l'observa quelque temps pour patienter.
Pour une fois, le garçon était en avance. Il en profita pour se réchauffer avec un chocolat chaud commandé, tout en se concentrant sur les gouttes de pluie qui tapotaient sur le carreau. Sur le carrelage au style un peu vieillot, il joua avec ses baskets. Il n'avait rien trouvé de mieux pour calmer son angoisse.
Le café accueillait une petite dizaine de personnes ; c'était vivant, calme et intime dans un même temps. Installé depuis bien cinq ans, Le Haut Gourmand faisait parler de lui dans le secteur. Établissement modeste au couple de propriétaires attachants, l'endroit accueillait petits et grands du matin au soir, pour un moment de joie ou un peu de réconfort. Jules pensa qu'il devrait venir plus souvent avec Luna. Jérémy habitait un peu loin.
Le garçon sursauta ; la porte d'entrée s'ouvrit sur un couple. Jocelyne n'était toujours pas là... Viendrait-elle ? L'adolescent croyait moins à cette possibilité que l'inverse. Il fit tournoyer son chocolat chaud dans son verre, désormais à moitié vide.
Une nouvelle fois, la porte s'ouvrit. Il arriva dans le café un chignon gris, parsemé de mèches rebelles, mais tout de même soigneusement coiffé. La dame qui venait d'entrer était plutôt petite, le dos courbé par l'âge et le visage gracieusement ridé. Elle portait pour vêtement une robe à fleurs, que Jules trouva peu recommandable pour la saison. Des collants couleur chair ainsi qu'un manteau à fourrure la protégeaient tout de même un peu du froid.
La dame parcourut la salle de ses petits yeux bleu azur. Elle observa les dizaines de bouteilles posées sur l'étagère derrière le bar, les tableaux et photos de mines parsemés sur les murs, les tables en bois et leurs occupants ravis d'être là. Elle s'arrêta sur Jules. Il posa sa tasse.
Les yeux de la vieille femme s'agrandirent soudain, et elle s'avança au fond de la salle, jusqu'à lui. Chacun de ses pas, plus chancelants que ceux de Monsieur Hubart, semblait la faire souffrir.
— Bonjour, dit-elle arrivée en face du garçon. C'est bien toi, Jules ?
Le cœur du concerné bondit dans sa poitrine. Plus aucun doute : c'était elle. Elle l'avait reconnu grâce à son pull rouge, dont il avait indiqué à Élisa qu'il le porterait le jour du rendez-vous. Ce jour.
Jules pensa instinctivement à tourner la tête vers quelqu'un mais se retint. Ce serait vain : personne n'était là pour l'épauler, ni Luna, ni Jérémy, ni personne. Il n'avait que cette femme, qu'il n'avait plus vu depuis onze ans.

VOUS LISEZ
Un bébé dans la tête
Teen FictionLycéen, bon élève, fils unique : Jules a tout d'un adolescent banal. Ou presque. Car Jules ne vit pas comme tout le monde : il a un bébé dans la tête. Un bébé qui, lorsqu'il pleure, lui donne des maux de crâne affreux, des nausées, des vertiges, et...