Jules lâcha son sac. Il rangea son 18 sur 20 sous sa pile de devoirs, puis rejoignit son bureau. Attendre le dernier vendredi avant les vacances devait être un supplice pour Monsieur Hubart, qui avait déjà distribué à la classe le traditionnel devoir maison de Noël.
La définition d'une équation d'oxydoréduction, la formule reliant la masse et le nombre de moles : Jules avait toutes les cartes en mains pour réussir. Le mercredi après-midi tout à lui, il s'attaqua au premier exercice, y plongea pour ne voir rien d'autre que la quantité de cuivre recherchée. Son stylo s'acharnait sur la copie, ne voulait y laisser aucun blanc, avoir réponse à tout.
Le garçon se saisit d'un cookie dans le paquet sur son bureau. La première question fut répondue ; il passa à la deuxième. Jules continua avec l'exercice suivant, s'arrêta un instant sur l'énoncé, massa son poignet pour repartir de plus belle. Il indiqua la formule demandée, encore, encore et toujours. Puis, le garçon sursauta.
À sa gauche, une petite fée violette croisa les bras. Son intervention surprise laissa une rature sur le devoir du garçon. Il se fit violence pour ne pas reprendre une nouvelle copie et tout recommencer.
— Tu travailles beaucoup, remarqua Amé. Ce devoir est à rendre dans plus de deux semaines : fais autre chose au lieu d'y répondre tout de suite.
Le garçon grinça des dents, se demandant pourquoi il ne s'était pas déjà débarrassé de cette pierre. Trois jours qu'elle était là, trois jours qu'elle l'assaillait de reproches à tout va. « Ne traîne pas dans ton lit, et arrête de manger trop vite. Fais attention à la musique trop forte. Tu sais que trop prendre de médicaments empirera la situation ? Mais ne te couche pas aussi tard, voyons ! » Il reprit un cookie pour combattre la frustration.
— Lâche cet énoncé, insista-t-elle.
— Je n'ai rien d'autre de prévu, autant le faire tout de suite.
Jules repointa son stylo contre la copie. Amé se tut, et c'était tant mieux. Mais que vint-elle soudain faire assise sur le bureau du garçon ? Plus collante que du silicone, la pierre ! Et loin d'être muette comme la roche.
— C'est pour ne pas penser à Luna partie avec Arthur que tu travailles, je me trompe ?
— Rien à voir, lança-t-il. Et puis ça ne te regarde pas.
Si la seconde affirmation apparaissait vraie pour Jules, la première en revanche était remplie de mensonges. Bien sûr qu'il fuyait cette idée, qu'il comblait sa tête de formules chimiques sans laisser de place aux ruminations.
Le lundi soir, Luna avait répondu à son message sans attendre. Elle y assurait avoir déjà pardonné, et s'excusait à son tour. Elle n'aurait jamais dû lancer ainsi le sujet, ajoutait-elle. D'après ses dires, tout était toujours de la faute de Luna, au moins en partie.
Le lendemain matin, les deux amis s'étaient retrouvés devant l'entrée du lycée, sans Arthur à l'horizon. Ils avaient parlé de tout, mais surtout de rien. De leur soirée passée, de leurs cours à venir. Tout naturellement, comme si leur dernière partie de Juna n'avait jamais eu lieu.
Cependant, tous les deux sentaient le poids qu'ils portaient, masse grisâtre qui alourdissait l'atmosphère à chacune de leurs paroles. C'était ainsi que les mots qu'ils s'échangèrent, pourtant semblables à ceux de la veille, se remplir d'amertume et de non-dits.
Jules le remarquait sans pour autant se l'avouer. Gérer Bébé, ses notes, ses parents, ... Il était déjà bien occupé. De tout façon, comme toujours avec Luna, tout finirait par s'arranger. À moins qu'Arthur ne vienne s'immiscer ; car puisque monopoliser le mercredi de la jeune fille l'amusait, il partait bien pour embêter Jules encore longtemps.
— Luna a le droit de rencontrer d'autres personnes, le secoua Amé. Et tu as aussi le droit de passer de bons moments sans elle.
Jules fixa la petite chose à la bouche un peu trop grande. Ses yeux ronds, aussi mauves que perçants, lui firent dévier le regard. Mais hors de question de se ridiculiser face à un caillou ! Le garçon serra les poings, bomba le torse, ouvrit la bouche.
Soudain son portable intervint. Le vibreur fit sursauter Jules, qui l'attrapa aussitôt. Ses lèvres se relevèrent en un quart de lune à la vue du prénom de son parrain sur l'écran. Amé retourna sur la table de chevet se changer en pierre, quand il décrocha.
— Allô ? Comment tu vas ?
— Salut Jules, je ne te dérange pas ? Comme je sais que tu sors souvent avec Luna le mercredi.
Le concerné grimaça. Il jeta un œil à son devoir de chimie avec envie.
— Pas aujourd'hui, marmonna-t-il.
Sa frustration n'échappa pas à Jérémy ; rien n'échappait à Jérémy. Brièvement, le garçon lui raconta, de l'apparition d'Arthur à la dispute du lundi. Le parrain écouta, glissa quelques onomatopées, moins cependant qu'à son habitude. S'il comprenait la frustration du garçon, il ne lui en donna pas crédit pour autant.
Puis vint jusqu'à Jules un soupir rieur. Comment ça ? Jérémy ne le prendrait pas au sérieux ? Jules écourta son récit.
— C'est dur de voir une amie s'épanouir autrement qu'avec nous, compatit son parrain. Mais Luna ne s'éloigne pas de toi, au contraire.
— Je sais...
Ces mots s'accompagnèrent d'un regard en l'air fatigué. Puis, le silence prit le pas. Jérémy le remplaça :
— Si jamais tu t'ennuies, tu peux reprendre le cor, ou le basket !
Grognement du côté de Jules. Sans le voir, il fut convaincu que son parrain lui adressait un clin d'œil entendu. Luna, au moins, ne l'embêtait jamais avec ça.
— J'ai plus envie, grinça-t-il des dents.
Jérémy n'ajouta rien, sans doute déçu qu'à nouveau sa tentative échoue. Parfois, le parrain se montrait presque aussi têtu que le filleul.
— Sinon, changea Jules de sujet, quoi de neuf ? La peinture de la cuisine, ça avance ?
— Doucement. On va bientôt s'occuper de la chambre du rez-de-chaussée.
— Elle aussi, vous la changez ?
Sa tête lui tourna. La chambre du rez-de-chaussée, ou chambre d'amis, là où Jules dormait dès qu'il venait chez son parrain. La chambre de Jules : il venait d'apprendre qu'on en changerait les murs. Certes, la tapisserie à fleurs commençait à tomber en lambeaux, mais tout de même...
— Tu pourras nous aider à choisir la couleur, le rassura Jérémy.
— C'est sûr qu'il vaut mieux ne pas laisser Diane faire seule !
Un rire cristallin émis du haut-parleur téléphonique, et Jules retrouva sa bonne humeur. Jérémy profita de l'occasion :
— Je t'appelais pour te demander si tu es libre pour préparer Noël chez papy et mamie avec moi ?
— Bien sûr ! s'enjoua le garçon.
— Les vacances arrivent en fin de semaine : le temps passe vite... Tu me diras aussi ce que tu veux pour ton anniversaire.
Jules acquiesça. Trop proche de Noël à son goût, il avait rapidement oublié la valeur de sa journée. Seize ans bientôt... En fin de compte, l'adolescent ne savait plus ce que cela signifiait.
Quand les deux voix à nouveau se reposèrent, Jules leva les yeux. La couverture rouge sur son lit l'attira en premier. Elle se fondrait presque avec les murs bordeaux. Mais sous ces nuances de couleurs chaudes, l'une faisait tache : violette, la pierre brillait plus que tout.
— Bon, je vais te laisser, mon garçon.
Jules sursauta ; Amé : il devait en parler à Jérémy ! Par quoi commencer ? Lui demander ce qu'il savait de la pierre ? Ou évoquer son réveil face à la silhouette améthyste, sans doute...
— Je vais reprendre le travail. À bientôt !
Le garçon le salua sans réfléchir, puis bondit de sa chaise de bureau. Mais trop tard, Jérémy avait raccroché. Mince ! Tant pis, il le lui en parlerait de vive voix.
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Un bébé dans la tête
Teen FictionLycéen, bon élève, fils unique : Jules a tout d'un adolescent banal. Ou presque. Car Jules ne vit pas comme tout le monde : il a un bébé dans la tête. Un bébé qui, lorsqu'il pleure, lui donne des maux de crâne affreux, des nausées, des vertiges, et...