Chapitre 6

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L'euphorie dans les salles de classe, la fatigue des professeurs, les couloirs à moitié vides : la dernière heure du dernier jour de cours annonça les vacances de Noël. On quitta le lycée pour les deux semaines suivantes. "A l'année prochaine", comme on s'amusait à se le répéter.

En ce beau vendredi ensoleillé, Jules et Luna auraient pu oublier que le dernier mois de l'année était déjà bien entamé. Une veste enfilée leur suffisait pour se promener agréablement au parc de leur ville. Et avec le soleil, qui bientôt disparaîtrait, l'endroit peu à peu se désertait.

Ils passèrent à droite d'une aire de jeu, traversèrent le pont, rejoignirent la rivière. Depuis le mercredi, la sortie de Luna passée avec Arthur resta tabou. La jeune fille avait annoncé un « tout s'est bien passé » gêné la veille, et Jules n'eut guère besoin de plus. Sur le chemin aux cailloux rouges, les deux amis n'évoquèrent pas le sujet.

— Au fait, demanda plutôt Luna, tu as parlé d'Amé à ton parrain ?

— J'ai essayé de l'évoquer par téléphone, mais sans succès... Finalement je préfère lui dire de vive voix, quand on se reverra.

— N'empêche, je suis jalouse, avoua la jeune fille. J'aimerais bien la rencontrer, cette Amé. Ou au moins la voir !

— Je voudrais te la montrer... Mais même en cachette, je n'ai jamais pu la prendre en photo.

— Dis-lui que je suis super gentille ! Elle n'a aucune raison d'avoir peur de moi.

— Parle-lui toi-même alors. Elle est capable de tout entendre, même en forme de pierre.

— Yap !

Jules tendit la précieuse améthyste à son amie, qui l'enveloppa de ses mains. Il rit lorsqu'elle parla à la pierre, sous les regards ahuris d'un couple de passants.

Au fil de leurs pas, le chemin caillouteux devint plus fin. Les deux adolescents le quittèrent pour fouler l'herbe fraîche. Une rangée d'arbres et de buissons plus tard, le voilà devant eux, là où jamais personne ne s'aventurait : leur petit coin tranquille. En chœur, ils s'assirent à l'ombre du vieil arbre déshabillé de ses feuilles, la rivière face à eux. L'eau coulait, de la droite vers la gauche, butait parfois sur quelques roches, puis repartit de plus belle. Ils l'admirèrent, l'une les jambes étendues sur l'herbe, l'autre les genoux contre le torse. C'était calme, c'était paisible.

— La rivière s'écoule vite aujourd'hui, remarqua Luna. Le prof de physique peut bien nous parler de son « H2O » théorique, moi je vois surtout un ensemble de gouttes d'eau qui courent toutes vers une même direction. Je me demande ce qui les attirent autant !

— Ou peut-être, au contraire, qu'elles fuient une autre chose.

La jeune fille donna un coup de coude à son ami. Elle semblait feindre de prendre la remarque à la rigolade, tout en sachant très bien que Jules était sérieux. En silence, ils continuèrent d'observer la rivière. Qu'elle soit impatiente ou fuyante, elle attirait sans aucun doute la fascination de tous.

— Tu crois qu'on aura une rivière comme ça, dans notre futur village ? rêvassa Jules.

— Une meilleure encore !

Un village, dans une campagne, que le bruit de la ville n'atteindrait pas, là où le macadam serait remplacé par de l'herbe émeraude, et les arbres plus nombreux que les hommes : depuis près de deux ans les amis s'étaient fait la promesse de s'y retrouver. Amoureux du calme, le choix semblait naturel.

Jules devinait la forme des nuages pendant que Luna triturait l'améthyste qu'elle avait toujours dans les mains. Quand le garçon tourna les yeux vers elle, c'était un visage étonnement soucieux et pensif auquel il fit face. Cette fois-ci, à Luna d'être sérieuse.

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant