Chapitre 34 (1/2)

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Au soir, le dîner s'était montré tendu. Pas un mot, pas un bruit ; encore le même silence, lourd et pesant. En tailleur sur son lit, Jules désespérait. Il tenait son portable contre son oreille et, dans un autre coin de la France, sa grand-mère s'attrista de la nouvelle. Amé opinait du chef à chacun de ses « Quel malheur d'avoir une famille aussi têtue ».

Pour Jocelyne, Jules avait, en plus d'à la tête, surtout mal au cœur. Elle se lamentait d'être responsable comme si elle s'était trouvée dans le salon ce jour-là. Jules tenta ce qu'il put, mais répéter « tu n'y es pour rien », ou « on se revoit bientôt » n'y changea rien.

L'infirmière de Jocelyne frappa à sa porte. Elle ne put prononcer qu'une seule phrase avant de raccrocher :

— Je suis certaine qu'au fond, Harry n'attend que ton pardon, comme je l'ai tant espéré de sa part.

Le portable reposé sur le matelas, Amé intervint aussitôt. L'adolescent parierait savoir ce qu'elle comptait raconter. "Tu devrais leur parler. Il faut t'excuser.". Ça, depuis des jours, il le savait ! Là n'était pas le problème.

— Tu crois que d'excuser est un acte de faiblesse ? devina Amé. Que tes parents te jugeront comme un perdant ?

Jules soupira.

— Penser ça est ridicule et tu le sais. Une dispute n'est ni un défi, ni un jeu. On ne perd pas à s'excuser.

— Quand même, c'est moi qui aurais l'air ridicule !

— Ridicule : pourquoi ? Tu l'es bien plus à bouder dans ton coin.

— Je sais pas... Avouer ses erreurs, c'est avouer avoir perdu, en quelque sorte.

— Et donc tu préfères gagner à un jeu que tu inventes complètement plutôt que de retrouver une bonne relation avec tes parents ?

Aucune réponse. Las, le garçon ne savait plus quoi dire, alors, Amé mit fin à la conversation :

— Il me semble, pour ma part, que tu as tout à gagner à perdre.

Jules y réfléchit toute la soirée devant son épisode de série. Bébé s'agita tout d'un coup, il attrapa sa trousse à médicament pour le calmer.

Le lendemain matin, la maison s'activa. Maladroitement, les verres s'entrechoquaient dans les bras et se posèrent devant les assiettes en porcelaine. Bientôt, la table du salon accueillerait un festin ; la famille s'apprêtait à recevoir Jérémy et Diane pour l'anniversaire de cette dernière.

Avant l'âge de raison, Jules s'était une fois risqué à demander pourquoi sa mère prévoyait de tels artifices pour accueillir son frère. Il comprit trop tard que la question était proscrite, et jamais il n'eut la réponse qu'il attendait.

Sans plus jamais poser de questions, il amenait les ramequins de crudités sur la table, non sans en avaler une ou deux au passage. Le soleil brillait pour un dimanche de mars, il laissa couler le salon dans un bain de lumière, dont le garçon profita de chaque centimètre carré.

Cependant, dans sa tête, le paysage se montrait sombre, brumeux, orageux. Pour lui, la décision était prise : il comptait enfin discuter avec ses parents avant l'arrivée de Jérémy. Cependant, en plus de l'épuiser, sa nuit blanche à réfléchir lui avait plutôt desservi. Pour dire vrai, elle ne lui avait pas servi du tout.

Amélie posa le dernier verre sur la table ; nappe, assiettes, plats : tout était fin prêt. Alors les deux adultes s'avachirent sur le canapé blanc. Les yeux rivés sur leur portable, ils ne les lèveraient que lorsque la sonnette retentirait. Du moins le pensaient-ils, car Jules avait d'autres plans en tête.

Les mains moites et le corps tendu, le garçon s'assit sur le fauteuil, à droite du canapé. Il se remua, toussota un peu, se rendit compte que l'idée était ridicule, réfléchit à nouveau. Amé était là, dans sa poche, mais ne pouvait sortir de son état de pierre. Au matin, Jules avait envoyé un message à Luna, mais à cette heure, elle devait être en train de déjeuner en famille. Bref, Jules se trouvait seul.

Seul, mais déterminé. Après tout, quitte à perdre, autant perdre fièrement.

— Papa, maman ?

Ils lâchèrent leur écran des yeux. Leur regard se tourna vers l'adolescent, mais aucun sourire ne suivit. Se méfiaient-ils de quelque chose ? N'avaient-ils toujours pas digéré la dispute ? La mère en voulait-elle à son fils d'avoir prononcé « papa » avant « maman » ? Pourquoi Jules ne pouvait-il s'empêcher de se poser des questions si ridicules ?

Ce qu'il savait avec certitude, c'est que ses parents s'impatientaient. Surtout Amélie ; ses mouvements de jambes le prouvaient. Jules n'eut plus le temps de réviser son texte.

— Je... suis désolé, pour l'autre fois. Je n'aurais pas dû vous parler comme ça.

— D'accord.

Harry cessa sa phrase. « D'accord ». Comment ça « D'accord » ? Jules se figea dans l'attente de la réponse. La vrai, pas un « D'accord ». Mais ses parents, côte à côte, se regardèrent plusieurs secondes sans dire mot. L'adolescent attendait toujours.

Voilà, j'ai tout perdu.

Et puis le quinquagénaire laissa la parole à sa femme. Par indécision ou par fatigue, sans doute. Peu importe. Tout ce que le garçon voulait était une réponse. Devant son fils aussi tendu qu'un fil étiré aux deux extrémités, la mère annonça :

— C'est bien de t'excuser, Jules. Je suis fière de toi.

— Et du coup, vous acceptez mes excuses ?

Il fixa sa mère, les lèvres tremblantes. Sauf que contre toute attente, sous les encouragements d'Amélie, les prochaines phrases vinrent du père :

— Oui, on accepte tes excuses. Et nous aussi, on doit te demander de nous excuser. Je dois m'avouer assez égoïste de réagir de cette façon. Tu es grand maintenant, tu as le droit de faire tes propres choix.

— D'accord...

Rien d'autre ne lui vint, aussi ridicule trouvait-il cette réponse. Il tenta ensuite un merci maladroit, qui fit sourire les deux parents. Jules ne sut si c'était par moquerie ou soulagement.

— Bon, Jérémy va arriver, lança cette dernière. On ne va pas faire cette tête toute l'après-midi quand même !

— C'est sûr, sourit Harry. Et puis, Jules est bientôt un adulte : Entre adultes, on ne se fait pas la tête comme ça.

Il se rendit aussitôt compte de l'ampleur de ses paroles ; à nouveau le père retrouva l'air mélancolique qu'on lui connaissait. La mère hoqueta avant de lui caresser le genou. Jules, lui, détourna le regard.

Comme le plus souvent, ce fut Amélie qui reprit la parole. Elle demanda si selon eux, le repas était suffisamment copieux. La mère bouda quand Harry s'amusa de sa question, et ainsi la discussion de la famille reprit sur les différentes variétés de pomme de terre et les meilleurs plats qu'ils connaissaient.

Entre deux idées de condiments, on sonna soudain. Amélie partit ouvrir. Sur le tapis « bienvenu » de l'entrée se tenaient Jérémy, Diane et un bouquet de fleurs.

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant