Strident, le cri du réveil extirpa Jules de son doux rêve ; lundi matin sonnait déjà.
Le corps du garçon encore à moitié endormi se mouva sous la lourde couette, puis laissa son bras droit affronter mollement la fraîcheur matinale. La main tapota la table de chevet, jusqu'à sentir l'écran du téléphone portable sous ses doigts. Un dernier appui contre l'appareil, et l'alarme se calma. Le bras de Jules put retourner à l'abri sous les couvertures. Du moins, pour les cinq prochaines minutes.
Peu de temps, mais il ne disait jamais non à la moindre seconde de repos supplémentaire. À nouveau, la mélatonine eut raison de lui et le garçon se laissa glisser sous les draps chauds.
On le réveilla de nouveau. Réalité frustrante, mais attendue. Du moins à moitié, car à son oreille malmenée, ce ne fut pas le biip habituel qui frappa, mais une voix. Une voix à la fois douce et forte, plus aiguë que les cris de la plus capricieuse des plus petites filles. Elle enchaînait les mots à en dépasser la vitesse du son, et pourtant jamais Jules n'avait entendu un discours aussi clair. Elle disait :
— Ton réveil vient de sonner. Tu comptes roupiller encore longtemps ?
Jules maugréa. Le lundi matin se montrait déjà assez pénible pour qu'on l'assaille de reproches avant même de sortir du lit ! Sans grâce, il laissa sa touffe ébène s'extirper de la couette, qu'il dut tirer sur le côté. Ô, douce et chaude couette, pardonne son affreux geste, il lui faut te quitter.
— Ah, enfin ! pépia la voix.
Difficile de déterminer si la soudaine prise de conscience du garçon fut causée par la fraîcheur de la chambre qui parcourut son corps, ou par le réveil qui sonna une seconde fois. Quoi qu'il en soit, ses sens se mirent en alerte, davantage que ce qu'un lundi matin lui exigeait.
Mais qui est-ce qui parle ?
Furtivement, Jules attrapa son portable, y éteignit l'alarme et appuya sur l'interrupteur. Sa réponse apparut devant ses yeux éblouis.
Pas plus grande que sa main, une silhouette flottait par il ne savait quelle prouesse dans les airs. De quoi grincer les dents des lois scientifiques. Une moulante robe mauve recouvrait sa peau pâle et ses amples cheveux lilas caressaient ses épaules. Ses yeux, dénonciateurs, fixaient le garçon, allant de paire avec ses poings contre les hanches. Mais de tous les détails qui se présentaient soudain à lui, Jules remarqua avant tout la pierre, minuscule améthyste luisante, que la silhouette portait en pendentif. Sur la table de chevet, le cadeau offert la veille par son parrain avait disparu.
Aussitôt, Jules eut un mouvement de recul. Son dos s'écrasa contre le mur, à en faire tomber son microscope de l'étagère. Un coup d'œil en sa direction : ouf ! Il ne s'était pas cassé.
— Qu'est-ce qu'il y a encore ? s'interrogea la créature les bras toujours collés contre les hanches.
— Tu... Vous êtes...
— Oui, c'est moi, ton « caillou » comme tu t'amuses à le répéter. Je suis Améthyste, mais appelle-moi Amé.
— D'accord, Amé... Mais... Vous avez conscience qu'on ne se réveille pas tous les jours avec une minuscule femme qui vole à côté ?
— Certes. Peu importe, tu as bien un Bébé dans la tête, après tout. Allez, lève-toi ! Et tutoie-moi.
Il obéit sans broncher. Les yeux toujours rivés sur Amé, le garçon posa ses pieds sur le parquet froid. Il marcha jusqu'à la porte, doucement, comme si la moindre brusquerie risquerait d'effrayer l'étrange petite femme-caillou. En attendant, c'était surtout Jules qui gardait les yeux exorbités.
Un dernier pas, et la porte s'imposa à lui. Jules s'arrêta un instant. Amé avait lâché ses hanches pour croiser les bras devant sa poitrine. Lorsqu'il effleura la poignée, enfin le garçon se réveilla.
À grandes enjambées, le sportif qui sommeillait en lui traversa le couloir pour dévaler les escaliers. Il manqua de s'emmêler les pieds une fois arrivé dans le salon.
— Papa, maman ! Venez voir, c'est hallucinant !
Les parents levèrent à peine la tête. Le premier avala sa dernière gorgée de café, tandis que la seconde s'apprêtait à se rendre au travail. Ils finirent tout de même par s'arrêter quelque peu, s'échanger des questions de leurs yeux marron. Voir leur fils aussi énergique dès le matin les surprit sans doute plus que s'ils venaient d'apercevoir une créature imaginaire en plein milieu du salon. À peine le regardaient-ils que l'instant suivant, le garçon avait remonté les escaliers.
Hallucinant, aucun autre mot ne lui vint en tête. Et pour cause, Jules croyait halluciner. Surtout lorsque, de retour dans sa chambre, il découvrit la pierre de Jérémy posée sur la table de chevet.
— Amé ? appela timidement l'adolescent.
Rien ; elle avait disparu. Stupide créature ! Du rez-de-chaussée, on apostropha le garçon, qui sortit de sa stupeur.
— Tout va bien, Jules ? Ta mère est partie au travail.
Évidemment : elle n'allait tout de même pas l'attendre pour le voir quelques instants avant de partir ! Mais tant mieux, après tout. En repensant à la dispute de la veille, l'adolescent préférerait l'éviter.
— Oui, c'est rien. Laisse tomber.
— Tu es sûr ? Bon, moi aussi je file. À ce soir.
En bas, la porte s'ouvrit et se ferma, sans même attendre de réponse. Les poings serrés, Jules partit prendre son bol de céréales. Il le posa comme toujours sur une table entièrement débarrassée. La particularité de ce petit déjeuner-ci : le garçon ne le passa pas à lire sur la boîte en carton en face de lui. Son esprit était bien trop préoccupé.
Que signifiait cette fichue Améthyste ? Jérémy était-il au courant ? « L'avoir toujours sur toi. », son parrain n'avait rien préconisé de plus. Cependant, le garçon n'envisageait pas de se promener avec une mini-femme flottante toute violette autour de lui. Et rien ne lui garantissait que cette Amé allait sagement rester dans sa forme de pierre.
Toutes ses réflexions mirent Jules en retard, encore plus que d'habitude. Il engloutit son dernier quartier de pomme avant de courir se préparer.
Sweat et jean enfilés, le garçon se planta devant sa table de chevet. L'amener, ou non... Car Amé pouvait-elle vraiment l'aider à se débarrasser de Bébé ? Elle n'avait après tout d'une simple pierre que l'allure. La précipitation commençait à hanter le garçon ; son bus allait débarquer d'une minute à l'autre...
C'est décidé. Il s'empara de la scintillante pierre violette et courut dehors. Jules devait la montrer à Luna et tout lui apprendre de la situation. Impérativement. Quelques promeneurs de l'aube bousculés plus tard, il rattrapa le bus.
Le trajet fut parsemé de questions et d'impatience. Comment allait réagir Luna ? Elle connaissait suffisamment son ami pour comprendre qu'il ne lui annoncerait jamais une nouvelle pareille si elle n'était qu'un mensonge. Tout au plus, elle penserait qu'il perdait la tête. Pourtant, Bébé se montrait plutôt calme malgré toute l'agitation de ce lundi matin.
Arrivé, Jules tritura l'améthyste tout en suivant les autres lycéens hors du bus. L'établissement et Luna l'attendaient à une centaine de mètres plus loin. Même sans Bébé, les klaxons et la fumée des cigarettes étaient loin de se montrer agréables. Mais tant que Jules retrouvait sa chère amie, il pouvait bien faire un effort.
Plus que quelques dizaines de pas le séparèrent du lycée. Il se tourna vers la façade où Luna prenait l'habitude de l'attendre.
Elle l'attendait effectivement. Seulement, quelque chose n'allait pas : son amie se tenait légèrement plus à droite qu'usuellement. À ses côtés, là où ses chaussures en toiles appuyaient normalement contre le mur de briques, des baskets olive la remplaçaient.
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Un bébé dans la tête
Teen FictionLycéen, bon élève, fils unique : Jules a tout d'un adolescent banal. Ou presque. Car Jules ne vit pas comme tout le monde : il a un bébé dans la tête. Un bébé qui, lorsqu'il pleure, lui donne des maux de crâne affreux, des nausées, des vertiges, et...