Chapitre 26 (1/2)

6 2 6
                                    

Jules referma la porte de sa chambre derrière lui. Ses yeux embrumés lui montrèrent ses posters sous un filtre flou. Il lui sembla que les murs bordeaux, pourtant d'habitude lumineux, aspiraient la lumière tel un trou noir. Ce fut dans cette atmosphère morose que Jules se plaça devant la table de chevet, pour y déposer Amé. Elle ne sortit pas de son cocon de pierre.

Il recula de quelques pas, la regarda un instant, réfléchit longuement. La petite fée ne daignait toujours pas se transformer, alors d'une voix qui pleurait plus que ses yeux, le garçon murmura :

— Viens, s'il te plait. Tu m'en veux, n'est-ce pas ? Je te comprends, tu as raison. Mais viens, s'il te plait.

Elle ne bougea pas, scintillait à peine, laissant seulement Jules s'asseoir sur son lit avant que l'épuisement ne l'emporte. Il n'osait plus la regarder.

— Je suis désolé, bredouilla-t-il. Même si j'en ai parfois douté, je comprends maintenant que tu ne cherches pas à m'embêter. Si tu veux bien revenir, je te promets de t'écouter. Faire tout ce que tu dis, je ne sais pas, mais au moins t'écouter. Alors, s'il te plait...

— Tu promets, vraiment ? Attention, parce que j'enregistre tout ce que tu me dis !

Jules sursauta à en faire grincer son matelas. Devant ses yeux se tenait la silhouette violette aux poings collés sur les hanches. Étonnement, elle ne semblait pas fâchée, du moins pas plus que d'habitude. Derrière ses longs cheveux lilas, Amé cachait même un léger sourire satisfait.

— Je suis désolé...

— Tu peux l'être, mais je te pardonne. Tu n'es pas le premier à te débarrasser ainsi de moi, et toi au moins, tu as eu le mérite de me rechercher.

Le soulagement assaillit le garçon. S'il se trouvait à la place d'Amé, il aurait rompu tout contact avec la personne. Le cœur de la pierre semblait plus doux que celui de n'importe quel être humain. Si tant est qu'elle en ait réellement un... Tant de mystère l'entourait, mais parmi eux, Jules n'en retint pour le moment qu'un :

— Dis, Amé : tu as fait exprès d'attendre que ce soit Arthur qui passe devant toi pour te montrer ?

— Va savoir.

Jules n'insista pas. Étonnant venant de lui. Mais il savait que son entêtement ne rivalisait pas avec celui de l'améthyste. Soudain, elle lâcha ses hanches pour s'approcher du garçon. Il crut un instant qu'elle voulait se poser sur son nez et recula par réflexe. Lorsqu'elle s'arrêta finalement devant son visage pour lui parler, il se redressa et l'écouta.

— Jules, l'apostropha-t-elle Es-tu désormais prêt à m'écouter ?

— Euh, oui ?

— Ne me regarde pas avec cet air ahuri ! Je te le demande sérieusement : est-ce que tu veux bien accepter ce que j'ai à te dire ?

— Je crois que je n'ai pas le choix.

— Tu m'exaspères, souffla Amé. Mais après ce qu'il s'est passé, je sens qu'il est temps de te le montrer.

Jules n'avait pas fini d'être interloqué. Ce serait ce fameux secret déjà mentionné par la fée ? Sans doute. Cependant, la violette arborait une mine si sérieuse que le garçon s'inquiéta davantage qu'il ne s'impatientait.

— Montrer quoi ? demanda-t-il, tout de même curieux.

Mais Amé ne répondit pas. La main sur le menton, elle réfléchissait comme un élève le ferait à un devoir de physique.

— Ce n'est pas un exercice facile, chuchota-elle pour elle, mais il vaut le coup d'essayer.

Puis elle baissa sa main le long de sa robe et s'adressa au garçon :

— Écoute-moi bien : fais ce que je te dis, et tout devrait bien se passer.

— Comment ça ? paniqua Jules. C'est dangereux ?

— Assieds-toi bien, demanda Amé sans attendre. Non, mieux que ça... Garde le dos droit, mais détendu. Voilà ! Maintenant, ferme les yeux.

— Explique-moi ! implora le garçon.

— Le mieux est que tu découvres par toi-même. Je disais donc : ferme les yeux. Il faut que tu sois le plus détendu possible, alors inspire... Expire... Concentre-toi sur ta respiration...

Alors Jules inspira, expira, puis recommença. Au début, les questions tourmentaient son esprit. Suivre la voix d'Amé était difficile. Une voiture passa dans sa rue, puis sa mère monta à l'étage ; chaque bruit le déconcentrait. Il lui fallut quelques minutes, pour doucement se laisser guider.

Peu à peu, ses muscles se détendirent. Jules s'enfonça encore un peu plus dans son matelas. Son corps s'alourdit, du moins le ressentait-il. Autour de lui, il n'expérimentait plus ni l'écoulement du temps ni les sons environnants, et ne s'en préoccupa qu'à peine. Voir plus du tout. Tous ses soucis s'échappèrent avec la petite et douce voix d'Amé ; certes cela ne durerait qu'un instant, mais le garçon le confondit avec l'éternité. Plus rien ne lui importait, c'était ce qui s'appelait être apaisé.

Soudain, Jules sentit comme une secousse. Son corps lourd devint léger ; il croyait léviter. Ou peut-être lévitait-il pour de vrai, car le garçon ne sentait plus son doux matelas sous ses cuisses. À la place, du vide. Rien, pas même un courant d'air pour lui caresser la peau. L'inquiétude lui demanda d'ouvrir les yeux, de bouger, de réagir.

Elle fut balayée par la voix d'Amé, qui lui murmura de garder les yeux clos. Alors Jules ne bougea pas. Dans ce vide inconnu, le calme revint. Il se sentit aussi bien, voire mieux, que dans sa chambre l'instant auparavant. La petite fée lui offrait des mots doux et réconfortants. Tranquillement, Jules l'écoutait, encore et pour toujours.

Et puis elle se tut. Il sembla à Jules qu'il tombait, avant que ses pieds ne touchent un sol dur. Le choc le fit vaciller vers l'arrière, et il se cogna le dos contre un mur tout aussi rigide.

— On y est, tu peux ouvrir les yeux.

Le ton puissant résonnait ; l'Amé autoritaire et fière était revenue.

Comme toute merveille, ce voyage venait de s'achever. Accablé par la triste réalité, Jules papillonna les paupières. Son esprit peinait à s'accommoder de nouveau à la lumière et la matière, la fée lui laissa le temps. Enfin, ses yeux s'ouvrirent sur un sol crème. Pas la meilleure couleur à regarder après un temps indéterminé dans le noir complet, pensa-il.

Le moment vint de lever les yeux. D'un coup, s'ouvrit à Jules un monde nouveau et une perspective inconnue.

La pièce était cubique, neuf mètres carrés de surface à vue d'œil. Sur les murs, une tapisserie décorait la pièce. Enfantine, elle présentait un ciel bleu cyan parsemé de nuages cotonneux. Le sol crème accompagnait cet ensemble de couleurs, vives, mais apaisantes à la fois.

Une véritable chambre de bébé se présentait à l'adolescent, et pour cause : au centre reposait un lit à barreaux, blanc comme les nuages. À l'intérieur s'agitait une silhouette que Jules ne pouvait pour l'instant qu'à peine discerner. Un son s'échappa soudain du petit lit. Un cri ? Un gazouillement ? Un rire ?

Le garçon se leva doucement, les membres encore engourdis par le voyage. Un mur lui était tout d'abord nécessaire pour tenir debout, et lorsqu'enfin ses jambes le retenaient d'elles-mêmes, un autre son que celui du bébé le fit pivoter sur place. Ou plutôt un bruit. Un bruit strident, semblant de sirène, écrasait la pièce. Dans un même temps, une lumière rouge vif clignotait dans un coin de la pièce.

Et elle était loin d'être la seule puisque l'endroit entier était parsemé de boutons, de lumières, ou juste de choses, qui le tâchaient comme les professeurs tâchaient leurs copies : d'un rouge écarlate et violent.

Un autre son sortit d'une sirène quelconque. Dans le lit, la silhouette s'agita. Une fois l'alarme passée, les plaintes disparurent pour des areuh paisibles.

Jules resta planté dans son coin, dans la crainte qu'un autre bruit ne perce à nouveau ses oreilles. Au bout de plusieurs instants, toujours rien. Ce fut Amé, volant non loin du lit, qui perdit patience la première.

— Qu'est-ce que tu attends donc pour le voir.

— Le voir... Lui ?

L'améthyste hocha la tête lorsque le garçon pointa le lit à barreau du doigt.

Un bébé dans la têteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant