Chapitre 26 - Plein de confusions

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Le sable est de plus en plus froid sous mes pieds, ainsi que l'eau qui monte et descend régulièrement. Le mince filet d'écume naissant à chaque vague est presque phosphorescent dans la nuit. Le ciel loin au dessus de ma tête s'est paré d'un noir d'encre. Pas d'étoile, pas de lune. Derrière moi, il y a cette falaise de pierre pâle qui s'érige irrégulièrement vers ce gouffre de ténèbres. Encore une fois, je me retrouve échoué sur ce mince croissant de terre. Je porte un t-shirt, un t-shirt blanc trop grand pour moi, trop fin pour me protéger du vent, une bise coupante à laquelle je ne peux échapper, captif comme je le suis. En titubant, je fais un tour sur moi-même. Les tremblements s'accentuent et le froid hérisse ma peau.

Je ne me rappelle pas comment je suis arrivé ici. J'ai seulement ouvert les yeux, et je suis là. Je pivote encore complètement, tanguant sur le sol mou. Rapidement, je comprends que je n'ai aucun moyen de partir. Pour ça, il faudrait soit que je nage (mais l'eau est menaçante, sombre et gelée), soit que je franchisse la muraille qui s'élève tel le mur d'une prison entre moi et la forêt. Ma pinède. Ma tour. Mon chez-moi.

Pour la millième fois, je tente de l'escalader – comme précédemment, je ne trouve pas de prise assez sûre pour réussir mon ascension, la roche déchire mes paumes, arrache mes ongles, et je dégringole comme une marionnette à qui l'on aurait coupé ses fils, épuisé, haletant, meurtri. Un gémissement jaillit d'entre mes lèvres. Alors je me retourne vers l'eau et j'y pénètre. Elle est si froide que mes chevilles, cernées par ces cercles glacés, en sont tout engourdies. Je n'ai pas le courage d'aller plus loin. Ma frustration devient telle que je crie, j'appelle au secours. Personne ne vient. Je suis seul sur ce bout de plage, seul pour toujours.

Afin de remonter, et de sortir de cette prison entre pierre et mer, il me faudrait des ailes. Mais je n'ai pas d'ailes. Je ne suis pas un oiseau. Je n'en ai jamais été un. Jamais. Je ne suis pas né comme ça. Est-ce qu'un oiseau serait capable de me sauver ? C'est une question étrange qui surgit dans mon esprit.

Je lève alors le regard, fouille les ombres à la recherche de la mince ligne où la blancheur de la roche découpe le noir de la nuit, espérant apercevoir une silhouette ailée. Rien, je ne distingue rien.

- Ohé ! Est-ce qu'il y a quelqu'un ?

Pas de réponse. Pas un bruit en dehors du ressac. Quelque part au fond de moi, très enfoui dans les méandres de ma mémoire, il y a un prénom. Si je le prononce, si je l'invoque, celui qui le porte me répondra, et il viendra. Oui, il viendra, il me prendra dans ses bras, me serrera contre son cœur. Je reconnaîtrai son battement régulier et rassurant. Il posera une main contre ma joue et je retrouverai cette paume chaude et caressante. Il me dira que je suis revenu et je saurai que c'est vrai.

Mais je ne me souviens plus de ce prénom. Ma mémoire me fuit.

Me souvenir. Il me faut me souvenir...

Combien de fois avais-je fait ce rêve ? Toutes les nuits depuis ce jour. Plusieurs fois par nuit. Il me hantait, troublait mon sommeil. Lorsque je m'éveillais, en nage, et pourtant grelottant sous mes couvertures, je me demandais pourquoi je n'étais pas capable de prononcer le nom que je cherchais si désespérément. Il fallait que j'y parvienne car je sentais confusément que ce cauchemar cesserait de me pourchasser quand je l'énoncerais. Je savais qui devait venir à mon secours et me sortir de cette prison. Mais perdu dans les limbes du sommeil, son nom m'échappait.

Éveillé, je l'avais pourtant dit et répété à voix haute, sans résultat. Mes songes avaient continué, encore et encore. Celui que j'incarnais dans mon inconscient refusait de le laisser remonter à la surface de sa mémoire. C'était lié à ce dont je devais me souvenir, sans aucun doute. La clef de cette porte fermée à double tour dans ma tête. Dans mon rêve j'étais prisonnier de ma propre amnésie, enfermé dans une geôle glaciale et funeste. Il me fallait en sortir, absolument, aussi bien dans mon cauchemar que dans la réalité.

Memories | [MarcoxAce]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant