Les Bénis

Episode 3 - Loustic - Partie 1

Ash

Quoi qu'il en dise, Arte et moi, on ne pouvait pas sauver tout le monde. Même maintenant que Luvie nous avait rejoint, même avec l'aide de Fern et parfois celle de Dina, nous ne pouvions pas être partout à la fois.

Et puis, peut-être que ce ne serait même pas une bonne chose. Peut-être qu'être des genres de super-héros risquait de déresponsabiliser le reste du monde. Pas besoin d'aider mon prochain, y en a qui feront ça à ma place.

C'est pour ça qu'on bossait depuis un long moment sur un moyen d'améliorer la solidarité et l'entraide, d'abord auprès des Bénis, qui en avaient le plus besoin, mais pas forcément uniquement. Et alors que nous étions presque prêts à mettre en place et tester notre projet à Rêver et Korbelvir, voilà qu'Arte entendait l'appel de la forêt et se barrait à l'autre bout de Yosha, me laissant toute seule pour finir le boulot.

Ok, je n'étais pas vraiment tout seule. J'avais Pleurnichard. Tu parles d'une aide.

J'étais mauvaise langue, je l'avoue. Fern s'était révélé utile ces derniers temps, en nous aidant à récolter des informations. Mais là, dans une ruelle sombre de Korbelvir avec moi, il ne faisait pas vraiment le fier. La pluie qui tombait depuis à peu près une heure faisait scintiller les pavés à chaque fois que la lumière, venant d'une voiture ou d'une porte qui s'ouvre, tombait dessus. J'étais trempée jusqu'aux os. J'allais attraper un rhume, c'était sûr.

Fern sursautait à chaque bruit. Dans le genre discret, on faisait mieux. Je lui avais pourtant proposé de rester à l'auberge, mais il avait insisté pour m'accompagner. Nous attendions l'un de nos indics qui nous avait peut-être trouvé un local.

Ok, notre seul indic en dehors de Pleurnichard. Comme tout bon indic qui se respecte, c'était un gosse des rues. Abandonné par ses parents parce qu'il était Béni. Nous lui avions proposé plus d'une fois de s'installer chez nous – enfin, chez Dina -, mais il avait toujours refusé. Il avait jusqu'à présent réussi à éviter les rabatteurs, l'arène et les marchés aux esclaves, mais j'avais peur que sa chance finisse par tourner.

Il était en retard, et ça m'inquiétait. Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé... C'était un brave gosse.

Et soudain, il fut devant moi. Je réussis à masquer ma surprise – j'avais de l'entraînement -, mais pas Fern qui poussa un petit gri. Gadin lui lança un regard, puis se tourna de nouveau vers moi.

« C'est par là, » me dit-il en se mettant aussitôt en route, ne perdant pas de temps avec des salutations. Je lui emboîtai le pas. Il nous conduisit jusqu'à un bâtiment désaffecté près des quais et de ses entrepôts, et nous y introduisit.

« J'ai fait le guet pendant trois mois, y a jamais personne qui vient ici. J'me suis renseigné, il appartient à personne. Personne le squatte puisqu'on dit qu'il est hanté. Mais j'suppose qu'un ptit fantôme, ça vous f'rait pas peur, à Arte et à toi, pas vrai ? »

Dans la chiche lumière qui baignait l'endroit, je vis le visage de Fern blêmir à l'annonce de ce fantôme.

C'était presque trop beau pour être vrai. Non seulement ce bâtiment était grand, en pas trop mauvais état, et inoccupé, mais en plus ces rumeurs de fantômes seraient des plus pratiques.

« Dis m'en plus sur ce fantôme. »

Gadin haussa une épaule.

« Y aurait eu un accident ici y a longtemps. Un accident ptêt pas très accidentel d'ailleurs. Le type qu'est mort hante tous ceux qui veulent s'installer. Le dernier proprio est même mort soit disant d'un accident de chantier, mais tout le monde dit que c'est le fantôme qui l'a tué. J'l'ai jamais vu pendant mes nuits de guet, mais qui sait... »