Fern
Empoisonner Luvie se révéla encore plus facile que prévu. Il m'avait juste fallu attendre qu'elle soit seule, et lui proposer un truc à manger. Luvie était comme un Goûteur, elle ne refusait jamais de manger. En y réfléchissant un peu, ça m'en apprenant sans doute beaucoup sur elle ; mais je n'avais pas envie d'y réfléchir. Comme son lien avec Arte avait été désactivé, j'avais dû doser le poison avec précision. Je n'avais aucune envie de la tuer. Ça aurait bien sûr été moins risqué avec un lien actif, mais avec un lien actif, Luvie perdait tout son intérêt. Enfin, non, pas vraiment, mais ça non plus, je n'avais pas envie d'y réfléchir.
Le poison fit son effet presque immédiatement, et Luvie s'écroula, manquant de peu de tomber tête la première dans son assiette.
Si l'empoisonner avait été facile, la transporter le serait moins. D'autant qu'il fallait que je sois discret ; les autres ne devaient rien suspecter. Luvie pesait son poids et j'étais en nage en arrivant au point de rendez-vous. J'avais opté pour la tactique « je soutiens mon amie qui a trop bu, je ne suis pas du tout en train de la kidnapper, merci beaucoup » - ça impliquait d'avoir soi-même l'air légèrement bourré et de faire semblant de parler avec sa camarade de beuverie. Heureusement, le ridicule ne tue pas plus qu'il ne vous fait arrêter... dans la plupart des cas.
Maintenant que j'étais au point de rendez-vous, tout allait devenir plus simple... au moins d'un point de vue pratique. Mloc était là, fidèle au poste. S'il y avait quelqu'un sur qui on pouvait compter pour être à l'heure, c'était bien Mloc. Il compensait son nom bizarre et un physique à l'aune de celui-ci par un grand sens du style et de la mode, et par une ponctualité à toute épreuve.
A vrai dire, moi non plus, je ne savais pas trop ce qu'il était venu faire avec des types comme nous, mais je n'allais pas cracher sur son aide pour porter Luvie. D'autant plus que je ne savais même pas où il fallait que je l'amène. Mloc était venu en voiture et il m'aida à mettre Luvie dans le coffre à bagages. Fini, le stratagème de l'ivresse, si on nous voyait maintenant, il n'y aurait aucune méprise possible sur ce que nous étions en train de faire. Mais bon, on avait choisi une ruelle sombre et sans âme qui vive exprès pour limiter le risque de témoins gênants.
« Où est-ce qu'on retrouve le chef ? » demandai-je à Mloc alors qu'il mettait la voiture en route.
« A Korbelvir, c'est là qu'il est en ce moment.
-Encore à Korbelvir ? Je croyais que son boulot là-bas était terminé.
-Apparemment pas. »
Notre conversation s'arrêta là. Pas de plaisanterie, pas de vannes, pas de fausse dispute, pas de pseudo discours philosophiques ni de bons sentiments.
C'était reposant. Tout ce silence. Ce calme. Ce silence vraiment silencieux.
Ok, j'avoue, le chahut des autres me manquait un peu. Je me demandais bien pourquoi, d'ailleurs. Les gens braillards, j'avais toujours trouvé ça fatigant. J'avais toujours préféré faire cavalier seul. Et voilà que cette bande d'idiots qui dégoulinaient de guimauve me manquait ? Ça n'avait aucun sens.
Le trajet jusqu'à Korbelvir et la nouvelle planque du chef me parut interminable, même si la ville n'était pas très loin, encore moins en voiture, mais il finit par s'achever. Mloc m'aida à nouveau à hisser Luvie hors du coffre à bagages et à la porter le long des couloirs de la grande demeure où nous nous étions arrêtés, passant des parties résidentielles dignes de la capitale à une sous-sol plus trouble, jusqu'à sa cellule. La petite pièce, très dépouillée, comportait un impressionnant assortiment de fers, de chaînes et d'autres assemblages restrictifs. Mloc commença à les attacher un par un.

VOUS LISEZ
Les Bénis
FantasíaUne bande de presque super-héros un peu bourrus, un peu stupides, n'aimant rien mieux que se chambrer, mais avec un grand cœur, qui tentent de redresser les torts de leur société. Ils ont toujours un plan. Il ne leur sert à rien, mais au moins ils e...