Luvie
Nous n'avions même pas de corps pour honorer Ash d'une vraie cérémonie. Pas de corps à brûler ou à enterrer, pas de cendres à disperser, juste nos souvenirs, nos regrets et notre chagrin.
Le reste du chemin retour s'était déroulé sans incident. Nous tentions tous de faire plus ou moins bonne figure pendant la journée pour les enfants, mais je crois que personne n'était dupe. Une fois les petits couchés, nous nous rassemblions ensemble autour du feu, serrés les uns contre les autres. Nous ne parlions pas toujours. Nous pouvions rester un long moment dans un silence parfois coupé par un sanglot ou un reniflement. A d'autres moments, nous évoquions l'amie que nous venions de perdre. L'un racontait l'une de ses blagues atroces, l'autre une anecdote. Arte avait évidemment le plus d'histoires à partager, de leur enfance, de leur bref passage dans la milice, de leurs exploits à deux après. J'appris ainsi que c'était lui et Ash qui avaient mis hors d'état de nuire Fred le désosseur. Le tueur en série, qui avait sévi pendant deux ans à Grangier, avait fait beaucoup parler de lui. Il avait donné un sacré fil à retordre à la milice, avant que son identité soit divulguée dans la presse grâce à une source anonyme, et que la milice le trouve solidement ligoté devant la porte d'un de leurs postes à Grangier. Tout dans cette affaire était sensationnel, les meurtres sordides, l'impossibilité pendant deux ans de découvrir la moindre piste sur l'identité du coupable, l'impuissance de la milice, la façon enfin dont il avait été appréhendé. A cette période-là, j'étais encore dans l'arène, même si plus pour très longtemps, et même moi j'avais entendu parler en long et en large de Fred le désosseur. A l'exception de Richie, au bénéfice de qui Arte raconta donc toute l'histoire en détail, nous étions tous ébahis de découvrir que c'était eux qui avaient mis fin à ses agissements.
« En fait, c'était juste un vieux con avec des hémorroïdes », conclut notre leader.
« Attends, tous ces meurtres, c'était juste parce qu'il était aigri et qu'il avait mal au cul ?
-Certains analystes pensent en effet que ses problèmes de santé et la douleur qu'ils lui causaient avaient aggravé les choses, mais fondamentalement, c'était surtout quelqu'un qui était persuadé de tout savoir mieux que tout le monde, et qui ne supportait pas d'avoir tort. Quelqu'un de médiocre mais avec tous les privilèges pour croire qu'il était une personne importante. Et quand la réalité a refusé de se plier parfaitement aux idées qu'il s'était faites de lui-même et du monde qui l'entourait, il a choisi, plutôt que de s'adapter à la réalité, de chercher à la détruire. »
Le reste de cette soirée fut occupée par des réflexions philosophiques et psychologiques dont je n'ai, je l'avoue, rien retenu.
Comme ils s'étaient perdus de vue pendant plusieurs années, Loustic n'avait pas d'histoire très fraîche à nous raconter, mais il nous peignit, avec Arte, un portrait assez précis d'Ash enfant. Eprise de justice, même si pas toujours juste en raison de son éducation privilégiée, turbulente, toujours à faire les 400 coups, n'en subissant que très rarement les conséquences parce que chouchoutée par sa mère, une amie loyale qui aurait suivi Arte jusqu'au bout du monde, une enfant un peu capricieuse mais prête à aider les autres.
« Je ne sais pas comment continuer sans elle, sans son soutien, sans qu'elle garde mes arrières », exhala un soir Arte.
« Je regrette toutes ces années perdues », soupira Loustic avec un sanglot dans la voix.
« J'aurais aimé parvenir à regagner sa confiance, que je regrette terriblement d'avoir perdue en étant un gros con », enchaîna Fern.
« J'aurais voulu mieux la connaître », poursuivit Richie.
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Les Bénis
FantasiUne bande de presque super-héros un peu bourrus, un peu stupides, n'aimant rien mieux que se chambrer, mais avec un grand cœur, qui tentent de redresser les torts de leur société. Ils ont toujours un plan. Il ne leur sert à rien, mais au moins ils e...