Le plan concocté par Ash et Arte était simple et nécessitait peu d'ajustements pour m'inclure. S'ils avaient laissé tomber leur idée initiale d'infiltration, ils avaient obtenu, je ne sais trop comment, le chemin que devait emprunter le cargo jusqu'à l'entrepôt de lord Longrin à Korbelvir. Leur idée était de l'attaquer avant qu'il pénètre dans la ville, mais à la fin du leur voyage quand même pour faciliter la fuite de tout le monde. Assez loin de la ville pour que la population – et surtout les gardes de la ville – ne puissent pas s'en mêler, mais assez près pour que nous puissions tous, dans un premier temps, nous cacher dans les rues de Korbelvir. Je commençais à me demander si l'un des soldats de lord Longrin ne l'avait pas trahi pour mes deux nouveaux acolytes et nous aiderait de l'intérieur. L'idée était bien évidemment de libérer le plus vite possible les Bénis prisonniers pour qu'ils puissent nous aider. Ce n'était pas la première fois qu'Ash et Arte menaient ce genre d'opération sauvetage – ma propre libération en était la preuve, mais d'après leurs dires, c'était la première fois qu'ils s'attaquaient à un aussi gros morceau. Lord Longrin était l'un des plus importants trafiquants de Bénis, et si nous réussissions notre projet, il risquait fort d'entendre parler de ceux qui l'avaient dépouillé de sa dernière cargaison de Bénis, et il ferait tout pour se venger. J'avais entendu des rumeurs circuler, alors que je n'étais pas encore la Protectrice de sa fille, sur le sort qu'il avait réservé à un partenaire commercial aux yeux plus gros que le ventre – et clairement que le cerveau – qui avait tenté de l'arnaquer. Même si les rumeurs étaient exagérées, il en ressortait que lord Longrin n'était pas vraiment le genre d'homme dont on avait envie de se faire un ennemi.
Bah, nous nous occuperions de ce problème-là une fois l'opération un succès – si on s'en sortait vivants, bien sûr.
Le jour prévu, nous étions donc en embuscade dans le même bois où Erlan avait retenu Myrthe prisonnière. Nous l'avions arpenté en long, en large et en travers ces derniers jours, pour nous familiariser avec le terrain et trouver le meilleur lieu pour le guet-apens. Nous nous perchâmes dans des arbres et attendirent.
Quand la caravane arriva, nous étions prêts
Elle était composée d'une dizaine de gardes à cheval à l'avant, d'une trentaine entourant les deux chariots om les Bénis enchaînés avaient été entassés au maximum, et d'une autre dizaine de gardes à l'arrière. Entre le nombre de gorilles et les chariots qui n'étaient que de vulgaires cages roulantes, le convoi état loin d'être discret, et je crois que c'est ce qui m'énervait le plus. Officiellement, les Bénis et les normaux étaient égaux. Une loi interdisant l'esclavage des nôtres était entrée en vigueur avant même ma naissance. Mais les pratiques discriminatoires contre les Bénis avaient la vie longue. Et avec l'influence grandissante des Bien-Pensants, les choses avaient même plutôt tendance à régresser qu'à progresser. Bien sûr, tous les Bénis ne souffraient pas du même traitement : certaines Bénédictions étaient presque complètement acceptées, particulièrement chez les riches bourgeois de la capitale. Mais même si Korbelvir était bien loin de la plus tolérante capitale, ce trafic orchestré par lord Longrin état tout ce qu'il y avait de plus illégal. Pourtant, il ne s'embêtait même pas à le dissimuler et paradait ces pauvres gens comme des animaux ou des prisonniers de guerre. Il ne craignait pas un instant d'être poursuivi et encore moins condamné par les magistrats. Ça me débequetait, d'autant plus qu'il avait raison : un magistrat attaquant un noble pour la défense des droits d'un Béni, on n'avait encore jamais vu ça. Il fallait que ça cesse. Il fallait que tous les lord Longrin du monde apprennent à respecter les Bénis, à les traiter comme des êtres humains à part entière. Si les magistrats n'avaient pas le courage de faire respecter la loi, nous, nous le ferions.
Cette idée d'un « nous » était positivement grisante.
C'était Arte qui devait donner le signal de l'attaque, et alors que le premier chariot passait à notre hauteur, il fit un signe, sous le regard étonné des Chasseuses emprisonnées qui nous avaient évidemment perçues, à Ash qui se trouvait elle plus à l'avant. Ash devait s'occuper des gardes à l'amont de la caravane et fournir une distraction pendant que je frayais un chemin à Arte jusqu'à la voiture, afin qu'il puisse libérer les Bénis. Il avait refusé que je me lie à nouveau à lui jusqu'au dernier moment, afin que je ne les suive pas par obligation mais réelle envie. Ce respect de mon libre arbitre m'avait fait chaud au cœur. Alors qu'Ash se lançait à l'assaut des premiers gardes, je renouvelai le lien avec Arte. C'était un peu comme retrouver les chaussures défoncées qu'on a porté toute sa vie mais délaissées quelques temps : le confort de l'habitude se disputait avec la sensation désagréable de la semelle enfoncée qui accentue tous les problèmes de postures et blesse la voûte plantaire. Même si ce dont j'avais vraiment l'habitude, c'était le lien forcé, et que les sensations du lien choisi et partagé n'avaient rien à voir. Loin d'être un collier se resserrant un peu plus à chaque pas qui m'éloignait de mon Protégé, de l'angoisse et de la torture qui m'obligeaient à Protéger, ce lien-ci était une aide dans la mission que je m'étais moi-même fixée. Arte eut le temps de faire pleuvoir une demi-douzaine de flèches sur les gardes – elles ne manquaient jamais leur cible mais n'étaient jamais mortelles – avant que les gardes réagissent enfin. Ils étaient une quinzaine en face de nous, l'autre moitié se trouvant de l'autre côté de la caravane. Une partie d'entre eux se détacha pour venir vers nous, et je me mis en mouvement. Je me laissai tomber sur le premier d'entre eux, qui ne compris jamais ce qui lui arrivait avant que je lui tranche la gorge proprement. Alors qu'il s'effondrait, je me jetai avec une roulade vers un autre garde. Il tenta de me transpercer avec son épée alors que je me redressai tout près de lui, mais j'esquivai son coup tout en accompagnant gentiment son mouvement, ma lame venant se ficher juste sous ses côtes. Arte sauta au bas de son arbre tandis que je m'occupais d'un troisième garde grâce à la combinaison balaye-poignarde. Une valeur sûre pour quelqu'un avec la force et la vitesse d'une Protectrice. Le premier carreau d'arbalète vint me cueillir dans le ventre. Le second, moins précis ou destiné à Arte, se ficha dans mon épaule gauche. Je jurai doucement et me dépêchai d'enlever les carreaux avant que je guérisse autour. Je crois que les carreaux d'arbalète, c'était une première pour moi. A la réflexion, c'était étonnant que je sois plus familière avec les blessures par balles, les armes à feu étant bien plus rares que les arbalètes. Des dernières ne faisaient pas tout à fait autant mal, d'autant que leurs carreaux étaient plus faciles à retirer qu'une balle qui ne ressortait pas. Il n'y avait que deux arbalétriers de notre côté, et l'un d'entre eux fut abattu par Arte avant qu'il ait eu le temps de recharger. Entre le deuxième arbalétrier et moi, il restait quatre gardes. L'effet de surprise était passé et avec lui nos chances avaient sacrément diminué. Nous devions atteindre les chariots, et vite, d'autant qu'Ash était toute seule à l'avant. Je faisais confiance à Arte pour éviter les carreaux d'arbalète et tenter d'éliminer cette menace, et me jetais sur le garde suivant. Un lien forcé ne m'aurait jamais permis de faire ça, de m'éloigner de mon Protégé potentiellement en danger. Je comptais bien profiter de cette nouvelle marge de manœuvre.
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Les Bénis
FantasyUne bande de presque super-héros un peu bourrus, un peu stupides, n'aimant rien mieux que se chambrer, mais avec un grand cœur, qui tentent de redresser les torts de leur société. Ils ont toujours un plan. Il ne leur sert à rien, mais au moins ils e...