Les Bénis

Intermission 3 - Une partie de cartes et Taylor Swift

Issin

« Et là je te jure il m'a PRIS PAR LA MAIN aaaaaaaah

-Tu déconnes.

-Jamais à propos de Kaboom. Donc il me tire du canapé et sa main est restée dans la mienne un peu plus longtemps que nécessaire ? Tu crois que ça veut dire quelque chose ? Ça veut probablement rien dire je dois me faire des films.

-Tu sais bien que ce crétin est incapable d'envisager l'existence même d'autre chose que le premier degré.

-Eh ! ... ok, tu n'as pas tort.

-Donc tu ne te fais pas des films. Ça fait des semaines que je te le répète. Je suis sûre qu'il craque pour toi, et si même moi je peux le voir c'est quand même que ça crève les yeux.

-Nan, ça ne voulait probablement rien dire. »

Ce à quoi je ne répondis, je l'avoue un peu honteusement, que par un argh de frustration. J'étais positivement désespérée par ces deux-là. A ce train-là j'allais finir par en chopper un pour taper sur l'autre.

«Je t'adore Greg, mais vous êtes vraiment aussi irrécupérables l'un que l'autre. Changeons de sujet avant que je décide d'aller le voir pour lui dire ce que tu ressens.

-Tu n'oserais pas.

-Si.

-Non...

-Si, et tu le sais.

-... Ok. Tu veux faire une partie de cartes ?

-Tu me pose vraiment la question ? »

Greg sourit, et moi aussi. Nous savions tous les deux que je ne dirai jamais non à une partie de cartes.

Greg et moi, ça remontait à un paquet d'années, maintenant. Nous étions tous les deux des mercenaires, se mettant au service du plus offrant, dans une guilde un peu miteuse, même si, à l'époque, nous étions trop jeunes et inexpérimentés pour nous en rendre compte. Je ne savais pas pourquoi le Maître avais choisi de nous embaucher nous, une question d'argent ou plutôt de manque d'argent, et je ne le saurai sans doute jamais. Toujours est-il que c'est ainsi que nous avions rencontré Erlan, et que nous avions décidé d'un commun accord de ne plus le quitter. Déjà à l'époque, il n'était pas dans les petits papiers du Maître, et je ne saurais dire pourquoi nous avions tous les deux décidé de le suivre, mais Erlan avait une sorte de charisme fascinant. Kaboom nous avait rejoint peu après, à mon grand désespoir mais pour le plus grand bonheur de Greg qui avait immédiatement craqué sur cet idiot bruyant. Puis ça avait été au tour de Fern et de Mloc – je n'avais aucune idée de comment il était arrivé là, lui -, mais ça faisait trop de monde pour moi. Heureusement, nous étions tous bien plus souvent dispatchés sur plusieurs missions aux quatre coins de Yosha qu'à travailler en groupe. Être enfermée avec eux tous dans ce manoir depuis si longtemps me pesait était éreintant. Trop de monde que je ne connaissais pas, trop de bruits auxquels je n'arrivais pas à m'habituer. Trop de Kaboom. Ce n'est pas que je ne l'aimais pas, mais, en dehors des moments où je maniais mon sabre – les combats n'étaient que clarté et concentration - j'avais une tolérance au bruit et à l'agitation assez limitée, et Kaboom, comme son nom le laissait présager, n'était pas avare des deux, et épuisait très rapidement mes réserves.

Je m'en voulais un peu du peu de patience que j'arrivais à avoir avec lui, et encore plus alors que les sentiments de Greg à son égard ne faisaient qu'augmenter – encore une chose que je ne comprenais pas bien. J'aurais aimé pouvoir être amie avec lui, puisque Greg tenait autant à lui. Mais ce n'était malheureusement pas une question d'efforts, car je n'en avais pas été avare. A chaque fois, beaucoup trop rapidement, mes réserves d'énergie sociale se retrouvaient drainées, et je ne parvenais pas à être autre chose que sèche ou agressive, j'avais besoin de calme et de silence avant de péter un plomb. Alors je me réfugiais dans la petite chambre que je m'étais réservée, fermait à moitié les rideaux, me plongeant dans une semi-pénombre, et attendais que ça soit plus calme, à l'intérieur de moi. J'avais découvert que la musique aidait, et j'avais développé un intérêt spécial pour une chanteuse de folk dont je connaissais bien évidemment toutes les chansons par cœur, à force de les écouter en boucle. Alors que j'étais sur le point de parler encore une fois d'elle, Greg me devança :

« Au fait, j'ai repéré quelque chose qui pourrait te plaire dans un magasin hier en faisant des courses pour Mloc et le chef.

-Attends, pourquoi tu fais des courses pour Mloc ? Ou pour Erlan, d'ailleurs ?

-Mloc était occupé, et avait un besoin urgent d'œufs, il m'a demandé si l'un d'entre nous pouvait s'en occuper, j'ai dit oui, et Erlan en a profité pour me refiler une liste longue comme le bras de trucs pour lui – pourquoi est-ce qu'il a besoin d'une bouée ??

-T'es trop gentil avec eux. Je comprends pas pourquoi c'est pas notre chauffeur, si c'est bien le boulot de Mloc, qui s'occupe des courses, mais toi qui t'occupes des siennes.

-Bah, ça me gêne pas de leur rendre service, ni à lui ni à Erlan.

-Et donc, c'est quoi cette chose que tu as vu pour moi ?

-C'est pour ta musique !

-Dis-moi tout. »