Intermission 1 - Cascade(s)

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Kaboom

Nous n'étions jamais restés aussi longtemps tous ensemble au QG, et je comprenais maintenant pourquoi. Ça faisait trois semaines que nous restions confinés dans l'ancienne demeure de lord Longrin, sans mission, et Issin était devenue violente – plus que d'habitude – au bout du quatrième jour. Le temps commençait vraiment à se faire long.

Heureusement, j'avais pu partager de bons moments avec Greg en regardant une tonne de films de kung-fu en sa compagnie. Enfin, moi en tout cas je m'étais bien amusé, Greg s'était contenté de grogner de temps en temps d'une manière qui me semblait indubitablement plus enjouée que son habituel grognement mécontent, et puis il était resté, sans doute était-ce bon signe, pas vrai ? Mloc avait tué le temps en préparant mille et un gâteaux et pains à la banane et autres cookies et muffins – apparemment, il pâtissait quand il était nerveux, et comme, moi, c'était lui qui me rendait nerveux, j'avais fait de mon mieux pour l'éviter. Ses gâteaux étaient cependant tous plus savoureux les uns que les autres, ce qui rajoutait encore à sa classe phénoménale et le rendait encore plus impressionnant. Comme si son style vestimentaire n'était pas suffisant.

On était tous à deux doigts de la folie (oui, même moi, avec mon calme et ma retenue légendaire) (mais peut-être pas Greg. Comme si on pouvait savoir ce que Greg pensait.) et Erlan était plutôt aux abonnés absents. Je veux dire, il était là, physiquement (bien que pas beaucoup ; il était pas venu voir un seul film avec moi), mais mentalement, ce n'était pas vraiment ça. Issin passait, comme de bien entendu, beaucoup de temps avec lui – quelle lèche-botte-, mais au moins nous avions moins d'occasions de nous fritter. Ce que nous faisions beaucoup quand nous nous retrouvions ensemble dans la même pièce. Pour ne pas dire tout le temps. Alors être enfermés tous les deux dans le même gigantesque manoir, forcément, ce n'était pas du gâteau. D'autant que nous n'avions aucune idée du temps que la situation allait encore durer – enfin, moi en tout cas je n'en savais rien, mais j'étais toujours le dernier informé de tout, donc ça ne voulait peut-être rien dire. L'autre motif de frustration, c'est que je ne savais même pas pourquoi nous restions enfermés, inactifs et inutiles. Si j'en croyais les grognements de Greg quand je lui avais posé la question, lui non plus n'en savait rien, mais, croyez-le ou non, soutirer des infos à Greg est presque mission impossible, je ne savais donc pas si je pouvais me fier à lui et à ses réponses évasives.

Les jours et les semaines s'enchaînaient donc ainsi : traîner avec Greg, aller voler une assiette débordant de croissants ou de cookies à la cuisine quand Mloc n'y était pas, les partager avec Greg, m'entraîner dans le dojo, croiser Issin et m'engueuler avec elle, en venir aux mains et aux pieds et au sabre avec elle jusqu'à ce que Greg ou Erlan nous séparent, recommencer.

Est-ce que je me faisais chier ? Pas exactement. Est-ce que j'aurais préféré être en mission ? Définitivement.

Je finis, un jour, par réussir à trouver Erlan dans le bureau qu'il s'était accaparé, seul.

« Chef. Je m'ennuis. Pourquoi est-ce qu'on doit tous rester là ? Y a pas un endroit où on serait plus utiles ? Pourquoi je n'ai personne avec qui me bastonner ?! »

BAM ! J'attaquais de suite dans le vif du sujet.

« Ordre du Maître.

-Mais pourquoi on ne se lance pas à la poursuite de ces Bénis qui se sont introduits ici il y a quelques temps, les nouveaux amis de Fern ? Et pourquoi est-ce que Fern il est parti, d'ailleurs ? Est-ce qu'il est vraiment parti parti ? Ou est-ce que c'est le seul en mission ? »

Erlan poussa un soupir fatigué avant de me répondre.

« Il est parti parti. Et on ne va pas après ce groupe de Bénis sur ordre du Maître.

-Mais il y a une Protectrice parmi eux, pas vrai ? Je croyais que le Maître recherchait les Protectrices...

-J'ai arrêté d'essayer de comprendre les plans du Maître, et tu devrais faire de même.

-Il ne vous explique même pas à vous, chef ?

-T'avais l'impression qu'il me donnait un traitement de faveur ?

-... Non, mais quand même, c'est votre oncle !

-Je ne suis pour autant pas exactement son neveu préféré, alors, non, il ne me dit rien.

-Et vous savez combien de temps ça va durer, de rester enfermés ici, chef ? Pourquoi est-ce qu'on ne peut même pas sortir faire quelques courses ou, je ne sais pas, aller chez le coiffeur ? Le prenez pas mal, hein, chef, mais, comment dire, votre tignasse commence à être un peu, euh... hors de contrôle ? »

Un autre gros soupir d'Erlan.

« Je n'en sais vraiment rien, Kaboom. Mais tu as probablement raison pour mes cheveux. Je vais demander à Issin de me les couper, elle qui est si adroite de sa lame.

-Vous ne feriez pas mieux de demander à Mloc ? Le style et la mode, c'est son domaine.

-... Ça reste entre nous, Kaboom, jure-le-moi, mais je dois avouer que Mloc me fait parfois un peu flipper, tellement il est stylé. Je crains de ne pas oser lui demander.

-J'dirai rien, chef, moi aussi il m'angoisse. »

Le chef et moi échangeâmes un regard entendu avant qu'il me congédie. Je retournai m'installer avec une pirouette et un roulé-boulé suivi d'un saut sur le canapé, manquant de peu Greg qui y était déjà assis, un bol de pop-corn dans les mains qu'il avait soigneusement élevé pour éviter de le renverser à cause de ma cascade.

« Toujours aucune info de la part du chef. Tu veux choisir le film ?

-Non. Je m'en moque. »

Je haussai les épaules et lançai Cobra Death pour la 42e fois au moins.

Les BénisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant