Chapitre 14.
Pendant qu'il était occupé à prendre le thé avec les autres femmes, toutes ses minces possessions avaient déjà été transférées à son nouveau chez-lui. C'est d'ailleurs là que l'amena directement Fu-Hsi après être venu le tirer d'affaires. S'il y avait bien un avantage à son déménagement, c'était que le nouveau pavillon qui était sien dans l'aile Ouest était bien plus vaste et somptueux que le précédent.
En grimaçant, il se changea, enfilant une autre robe avec l'aide de l'eunuque. Il n'était toujours pas ravi de n'avoir que des tenues féminines pour se vêtir même si tout le monde le complimentait sur celles-ci.
— Ming veut ma peau, se confia-t-il à Fu-Hsi en poussant un soupir. J'avais raison : la nouvelle de mon déménagement ne l'a pas du tout enchantée...
Elle semblait même furieuse. Il pouvait la comprendre. Ming était ici depuis son plus jeune âge... et il venait d'arriver, lui, un étranger qui ne connaissait rien – ou presque – à la culture chinoise et, pourtant, il recevait tous les honneurs dès les premiers jours.
— Elle est jalouse.
Il fronça les sourcils et croisa les bras sur son torse.
— Oui, mais elle n'a aucune raison de l'être. Je ne veux pas prendre sa place, que grand bien m'en fasse ! Plus j'en serai loin, mieux je me porterai !
Haru n'avait aucune envie d'être mêlé aux guerres de pouvoir qui se jouaient au sein du harem impérial. Pourtant, il s'y retrouvait embarqué sans avoir son mot à dire. Que Xiong Li soit maudit !
Fu-Hsi prit une courte inspiration. Toujours calmement, l'eunuque lui expliqua toujours calmement ce à quoi il faisait face :
— Se rapprocher de l'Empereur est le principal objectif de la grande majorité des femmes. C'est le moyen d'acquérir plus de pouvoir... et une meilleure vie. Regarde ce pavillon : il est tellement plus grand que l'ancien. Et Xiong Li offre toujours plus de cadeaux à ses favorites.
— Je n'ai que faire que des cadeaux ou du pouvoir !
Surtout si c'était pour recevoir des robes... ! La seule chose qui lui ferait vraiment plaisir, c'était de revoir les montagnes de son Japon natal. Plus jamais ne pourrait-il les revoir ?
— Peut-être, mais je crains que vous ne puissiez pas convaincre les autres de cette opinion...
Haru soupira. Il avait peur que Fu-Hsi n'ait raison sur ce point.
— Rassure-moi, je n'ai pas reçu de jeton durant mon absence, n'est-ce pas ?
L'eunuque secoua la tête.
— Non. Xiong Li en a choisi une autre ce soir.
Le Japonais éprouva des sentiments contradictoires. D'un côté, il était trop en colère contre l'Empereur pour vouloir le voir ce soir (et c'était sans doute réciproque), mais d'un autre côté... cela l'énervait que Xiong Li ait choisi quelqu'un d'autre... après la nuit qu'ils avaient passé... Haru savait qu'il obsédait l'homme comme jamais personne ne l'avait obsédé... mais alors pourquoi ne l'avait-il pas rappelé à lui ce soir ? Espérait-il le rendre jaloux ?
— Tant mieux, répliqua-t-il sèchement.
— Vue la manière dont il s'est énervé contre vous toute à l'heure, je suis certain qu'il vous choisira à nouveau très bientôt.
Haru le fusilla du regard. Est-ce que Fu-Hsi pouvait lire dans sa tête ? Dans tous les cas, il refusait d'admettre qu'une part de lui – une toute petite part très orgueilleuse – aurait souhaité recevoir ce jeton.
— Je ne veux pas qu'il me choisisse, se défendit-il.
Serait-il plus heureux si Xiong Li l'oubliait ? Il n'en savait rien. La vie lui semblerait peut-être bien morne enfermé entre les murs de la Cité, entouré de toutes ces femmes, lui qui avait pourtant été élevé en guerrier. Il ne rechignait pas devant un peu de compagnie masculine... même si ce devait être celle de l'Empereur. Enfin, il y avait toujours Fu-Hsi. Quel soulagement que l'eunuque soit à ses côtés ! Sans lui, il serait déjà devenu fou.
— Je crains que cela ne dépende pas de vous.
***
Et Fu-Hsi avait raison.
En colère contre Haru, Xiong Li avait appelé Liu Sung à sa couche. Cette concubine était d'une beauté merveilleuse et il se surprenait lui-même de ne pas encore l'avoir fait aménagée dans l'aile Ouest. En lui faisant l'amour, il essayait d'effacer le souvenir – et surtout le plaisir – de la nuit dernière. Il avait déviergé les plus belles femmes de toute l'Asie, possédait un immense harem qui ferait rougir de jalousie n'importe quel cheikh. Pourtant, c'était un homme qui occupait toutes ses pensées.
Il avait cru que lorsqu'il assouvirait finalement son fantasme, il pourrait passer à autre chose et oublier Haru de manière définitive, mais depuis qu'il l'avait mis dans son lit, c'était tout le contraire. Le Japonais l'obsédait encore plus qu'à son arrivée. Il ne cessait de repenser aux événements de la veille et à la manière dont son corps se tordait sous le sien. Et dans cette robe toute à l'heure... avec cette expression farouche sur le visage... et ces joues rouges d'humiliation... Xiong Li était sorti de son pavillon avant de ne lui sauter dessus à même le quartier des concubines, encore plus frustré que lorsqu'il était en chemin.
Faire l'amour à Liu Sung était aussi très agréable, mais... ce n'était pas la même chose. Peut-être qu'elle ne lui résistait pas ? Peut-être que ses gémissements n'étaient pas les mêmes... ou peut-être le problème était-il tout simplement qu'elle n'était pas un homme... qu'elle n'était pas Haru.
Xiong Li allait en perdre la tête. Que faire si même les plus jolies femmes de son harem ne parvenaient pas à lui faire oublier le corps d'un autre homme ?
Liu Sung ressentait son énervement et il voyait bien qu'il l'effrayait, mais il n'y pouvait rien. À l'intérieur, il bouillonnait. Cela faisait des années qu'il ne s'était pas senti comme ça... qu'une personne ne lui avait pas procuré de tels sentiments... sur le point de perdre le contrôle. Il était sur un terrain escarpé et il ne faisait que glisser... et bientôt il n'y aurait plus de saké dans lequel noyer les craintes qu'il nourrissait à propos de lui-même.
— Je vous sens troublé...
Le Chinois baissa la tête sur sa concubine qui l'observait de ses grands yeux de biche. Il eut un rictus.
— Peut-être bien que je le suis.
Mais que pouvait-il y faire ? Il ne voyait aucune issue. Rien qui ne puisse le sauver de ses propres démons. Alors... allait-il se laisser dévorer par eux ?
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Fleur d'Orient
Historical FictionHaru, fils d'un homme d'État important près du shogun, n'a jamais eu la carrure d'un combattant. Pourtant, pour l'honneur de sa famille, il doit se joindre aux troupes japonaises qui tentent d'envahir la Corée sous domination chinoise. Bataille perd...