Chapitre 41

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(update double : chapitre 41 et 42)

Chapitre 41.

Haru faisait de la fièvre qui obligeait Fu-Hsi à rester à son chevet (sous les directives sévères de l'Empereur qui lui avait ordonné de ne pas le quitter des yeux une seule seconde) pour éponger son front et surveiller son état. Néanmoins, le guérisseur avait dit qu'il n'avait pas ingéré suffisamment d'arsenic pour que ce soit fatal. Il s'en remettrait une fois que son corps aurait tout évacué. Malgré le diagnostique du vieil homme, le Japonais avait lu l'inquiétude au fond des prunelles de Xiong Li. Le pauvre était déjà en train de perdre Sue Liu aux mains du même mal... Affaibli par le poison, Haru n'avait pas pu poser plus de questions à l'Empereur avant que celui-ci ne le quitte.

Comme il était fatigué, il se remit à somnoler jusqu'à ce que, plusieurs minutes plus tard, il entende des cris de terreur provenant de l'extérieur du pavillon. Ces hurlements le tirèrent de son sommeil.

— Fu-Hsi ? Que se passe-t-il ?

L'eunuque avait une expression sérieuse sur le visage.

— Je crois qu'ils sont allés chercher Ming Han...

Les neurones de Haru commencèrent à connecter. Il aurait voulu se boucher les oreilles pour ne plus entendre ces cris. Même si c'était vrai... même si c'était elle... Haru refusait d'être tenu coupable de la mort de cette femme. Les paroles de Xiong Li le hantaient encore.

— Que lui arrivera-t-il ? s'enquit-il avec horreur.

— Seul l'Empereur peut en décider.

— Alors, je dois le convaincre... il doit y avoir une autre méthode... et l'exil ? Xiong Li a exilé son oncle, non ?

— Oui, il a été condamné à l'exil militaire en région malsaine... à au moins quatre-milles li d'ici. Xiong Li n'a pas voulu le contraindre à être déporté à Xinjiang. Son choix serait peut-être différent aujourd'hui.

Il existait cinq niveaux d'exil militaire, allant de la frontière proche à la région malsaine, mais le pire châtiment lié à l'espace était la déportation au Xinjiang dans le nord-ouest de la Chine, une région connue comme étant particulièrement aride et montagneuse. La vie n'y était pas facile.

— Pourquoi ne pas faire la même chose pour Ming Han ?

— Elle ne survivrait guère plus d'une année en exil... et son crime est trop grave pour bénéficier d'une peine jugée si clémente par certains. Xiong Li voudra en faire un exemple.

Haru était déchiré. Il aurait souhaité n'avoir jamais été mêlé, de près ou de loin, à cette histoire. Il frissonnait dès qu'il se mettait à y penser.

— N'y pense pas trop, ajouta Fu-Hsi comme le Japonais gardait le silence, tu n'as rien à voir là-dedans : les agissements de Ming Han ne concernent qu'elle.

Il essaya de s'en persuadé, mais il ne parvenait pas à s'ôter de l'esprit qu'il avait causé sa perte. Pourtant, fatigué et encore un peu fiévreux, il finit par se rendormir sans repenser à la jeune femme.

***

Le lendemain, il apprit que Ming Han avait subi un interrogatoire toute la nuit durant jusqu'à la forcer à passer aux aveux, poussée par les menaces et la pression qui pesait sur elle. Elle était accusée d'une tentative de meurtre aggravée sur la personne de l'Impératrice, un des pires crimes qu'il était possible de commettre.

C'est ainsi qu'au beau milieu d'un après midi ensoleillé, elle allait être exécutée.

Dans l'Empire chinois, il existait cinq châtiments pour punir les fautifs. Ils étaient différents pour les hommes et pour les femmes.

Ming Han fut traînée sur la place public où beaucoup de personnes étaient déjà réunies. Fu-Hsi avait forcé Haru à y aller. À vrai dire, toutes les femmes du harem sans exception avait été conviées. À la grande surprise du jeune homme, Ming Han ne criait plus et elle avait presque l'air sereine. Son visage était inexpressif. Elle avait enfilé sa plus belle robe, s'était maquillée et coiffée comme s'il s'agissait d'un jour normal. Elle se tenait bien droite au milieu de la foule.

— Pour tentative d'assassinat sur l'Impératrice Sue Liu, vous, Ming Han, fille de Sao Han et Tian Shun, noble épouse impériale, êtes condamnée au cinquième châtiment : cìsǐ.

Si le mandarin d'Haru s'était perfectionné depuis qu'il était arrivé et qu'il parvenait maintenant à soutenir des conversations compliquées dans cette langue, ce mot lui était inconnu.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? murmura-t-il à Fu-Hsi.

L'eunuque lui lança un regard grave avant de lui répondre à voix basse :

— C'est le plus sévère des châtiments réservés aux femmes : la permission de commettre le suicide.

Haru resta interdit un moment. Cela lui rappelait le seppuku japonais. À sa première rencontre avec Xiong Li, ce dernier lui avait dit qu'il n'y avait pas d'équivalent chinois à cette pratique de chez-lui qu'il avait réclamé lors de son arrivée. En réalité, il y en avait bien une, mais elle était réservée à la gente féminine, une façon plus honorable sans doute et moins salissante que d'en venir à l'écartelage ou la strangulation.

— C'est un privilège donné par l'Empereur, ajouta Fu-Hsi toujours en chuchotant, ce châtiment d'une mort dans l'honneur ne peut être offert qu'à une personne de haut-rang.

Devant Ming Han furent alors déposé le choix de l'arme : un corde avec un nœud coulant, une dague et une coupe de vin dans lequel devait être mélangé le poison rare du Zhenniao, l'oiseau aux plumes empoisonnées. Après quelques secondes, la femme se saisit de la dague qu'elle leva à l'assemblée pour que tout le monde puisse la voir. Puis, elle se tourna pour faire face à Xiong Li et aussi fièrement qu'elle le put, elle déclara d'un ton solennel :

— Il est trop tard pour vous convaincre de mon innocence, alors si l'Empereur souhaite ma mort, je dois mourir.

À chaque instant qui passait, la scène devenait de plus en plus réel aux yeux de Haru et il se mit à paniquer, sentant les battements de son cœur s'accélérer. Les choses s'étaient enchaînées si rapidement dans les dernières heures. Y avait-il seulement eu une enquête soutenue ? Et s'ils s'étaient trompés ? La mort était-elle nécessaire ? Pourquoi ne pas tout simplement l'exiler à Xinjiang. Aux paroles que prononça la femme, un doute horrible naquit dans l'esprit d'Haru. Et si... ?

Ming Han tourna la pointe de la dague vers sa poitrine et leva le menton au ciel, comme s'abandonnant à son sort.

Haru s'avança pour être au premier rang.

— Arrêtez ! cria-t-il. S'il vous plaît, Xiong Li, vous pouvez encore faire quelque chose, faites cesser ce cirque ! Arrêtez-vous !

Il croisa le regard de l'Empereur, mais celui-ci l'ignora, restant impénétrable à ses cris. Il n'eut pas le temps de parler que Ming Han s'enfonça la dague dans la poitrine. Le sang gicla sur le visage de Haru, alors que la femme tombait au sol, agonisante.

Le Japonais resta figé, muet d'horreur.


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