Chapitre 38.
Dix-sept ans plus tôt...
— Viens jouer, Ming ! cria Sue en passant devant la maison de son amie. On va attraper des criquets pour la chance !
Comme la jeune fille ne lui répondait pas, Sue s'arrêta de courir et passa la tête par la porte. Aussitôt, elle écarquilla les yeux d'émerveillement.
— Woh, tu es magnifique ! s'exclama-t-elle.
C'était la première fois que Ming Han se maquillait. Avec son visage pâle, sa bouche rouge et ses yeux soulignés de noir, elle était superbe.
— Tu as envie que ma mère te maquille aussi ? lui proposa Ming en esquissant un sourire léger.
Sue ne se fit pas prier. Du haut de ses neuf ans, elle était impatiente de se maquiller « comme les grandes ». Elle se laissa tomber à genoux devant la mère de Ming qui se servit de sa palette de couleurs pour colorer son visage comme celui de son amie.
— Voilà, regarde dans la glace.
La mère de Ming qui tendit alors un miroir. Sue bougea la tête de droite à gauche comme pour s'assurer que c'était vraiment son reflet. Elle ne se reconnaissait plus.
— Tu es la plus jolie, Sue, la complimenta l'adulte, il n'y a pas de doute que tu deviendras Impératrice quand tu seras plus vieille.
Ming se renfrogna.
— Mère !
— Tu es aussi jolie, Ming, ne t'en fais pas, tu arriveras à intégrer le harem toi aussi.
La petite fille serra discrètement les poings. Sa mère avait toujours préféré Sue à elle. Elle la croyait incapable de la surpasser. Pourtant, elle se tuait à la tâche, à apprendre les traditions et les mœurs de la famille impériale, à bien se tenir, à bien parler... mais ce n'était jamais suffisant. Comment Sue pouvait-elle penser à la chasse aux criquets en un moment pareil ?
— Allez dehors toutes les deux maintenant, les incita la mère de Ming en frappant dans ses mains pour les presser. L'Empereur part en voyage avec son neveu aujourd'hui, alors ils passeront sur notre rue avec leur cortège. Vous ne voudriez pas manquer son passage, n'est-ce pas ?
Les petites filles s'excitèrent. Elles n'avaient eu que peu d'occasions de voir le neveu de l'Empereur encore. Pourtant, elles étaient toutes les deux destinées à ce garçon, destinées à intégrer ce qui serait le harem de ce futur grand maître.
— Non, mère, nous y allons tout de suite.
Ming attrapa la petite main de Sue dans la sienne et les deux fillettes sortirent dehors, nerveuses à l'idée d'apercevoir le cortège impérial qui allait traverser la Cité d'une minute à l'autre.
— Je ne peux pas croire que tu voulais aller chasser des criquets, alors que c'est le jour de départ de l'Empereur.
Sue leva les yeux au ciel en soupirant.
— J'aurais voulu lui offrir un criquet... pour la chance, tu sais. Ils vont faire un long voyage.
— Tu sais où ils vont ?
— Sur une île, je crois. Au Japon.
— Alors, ils vont devoir franchir les grandes montagnes ! s'exclama Ming, impressionnée.
— Oui ! Tu te rends compte ? J'aimerais trop voir ce qu'il y a derrière les montagnes un jour.
Il lui arrivait parfois de s'allonger sur l'herbe et de suivre la course du soleil jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière ces montagnes géantes qu'elle ne franchirait sans doute jamais.
— Sois un peu sérieuse, Sue. Même ma mère croit que tu ferais une meilleure Impératrice... tu n'auras pas le temps de penser à ces montagnes.
Ming avait un tempérament bouillant. Il lui arrivait de s'énerver lorsque son amie s'intéressait trop à des choses qui lui paraissaient frivoles ou sans importance. Il semblait parfois que Sue arrivait à être parfaite sans fournir le moindre effort, alors qu'elle se tuait à la tâche, poussée par sa mère, pour espérer la rattraper et être une bonne épouse pour le futur Empereur.
— Être Impératrice doit être ennuyeux alors...
— Qu'est-ce que tu racontes ! On aura les plus belles tenues, les étoffes les plus chic et le meilleur thé.
— Oh ! Tu crois qu'on aura ce thé que ce voyageur étranger a ramené la dernière fois ? Il était extraordinaire ! Je crois qu'il venait du sommet des montagnes.
Ming hocha la tête avec le plus grand des sérieux.
— Peut-être bien. On ne refuse pas les caprices d'une Impératrice après tout.
— Dans ce cas, je veux bien me prêter au jeu... mais... –
— Oh, tais-toi, je les entends arriver !
Aussitôt, Sue arrêta de parler. Ming avait raison : elle pouvait entendre le claquement des sabots des chevaux sur la terre battue. Les gens se pressaient dans la rue pour apercevoir la délégation impériale entamer son long voyage jusqu'au Pays du soleil levant. Ils étaient si nombreux que Ming et Sue n'arrivèrent bientôt plus à distinguer le cortège. Elles se frayèrent alors un passage entre les gens, se hissant sur la pointe des pieds et se tordant le coup pour apercevoir quelque chose.
Entourés de plusieurs gardes, elles arrivèrent à voir l'Empereur, posté sur un grand cheval blanc et, à ses côtés, un jeune garçon aux cheveux longs qui avait déjà une expression trop sérieuse pour son âge.
— C'est lui ? souffla Sue à Ming.
— Oui, c'est Xiong Li.
Il sembla à Sue qu'elle croisa le regard du dénommé Xiong Li durant un court instant. Le garçon la regarda avec curiosité avant de détourner le regard. Aussitôt, la fillette sentit son cœur s'emballer. Elle n'avait pas du tout penser réagir de cette façon ! Ses joues étaient rouges à présent et elle remercia son maquillage qui l'empêchait de se ridiculiser devant Ming.
En un rien de temps, la parade fut terminée et la délégation chinoise disparue au loin.
— Il t'a regardée..., fit remarquer Ming avec une expression déçue qu'elle tentait tant bien que mal de masquer. Pourquoi tout le monde te regarde tout le temps ?
Et pourquoi personne ne la regardait, elle ? N'avait-elle rien à offrir ? Ou peut-être n'était-elle pas assez bien ?
— Je n'ai pas besoin de toute cette attention : je partagerais si je le pouvais. J'aimerais juste pouvoir aller à la chasse aux insectes sans me faire embêter...
Ming grimaça.
— C'est facile de dire cela pour toi... Et comment as-tu trouvé le neveu de l'Empereur ?
Sue devint gênée de dire ce qu'elle avait réellement pensé.
— Il semble... si sérieux.
Ming trouvait cela normal. Il fallait être sérieux quand on se préparait à recevoir beaucoup de responsabilités.
— Tu devrais toi-même l'être un peu plus si tu veux devenir Impératrice. Fais au moins semblant de faire des efforts..., lui reprocha-t-elle.
Sue baissa les yeux. Au fond d'elle, elle savait que Ming avait raison. Elle devait se prendre en main si elle voulait épouser Xiong Li et, en cet instant, elle sut que c'était ce qu'elle voulait le plus au monde.
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Fleur d'Orient
Historical FictionHaru, fils d'un homme d'État important près du shogun, n'a jamais eu la carrure d'un combattant. Pourtant, pour l'honneur de sa famille, il doit se joindre aux troupes japonaises qui tentent d'envahir la Corée sous domination chinoise. Bataille perd...