Chapitre 49.
Le reste du voyage fut long et éprouvant entre les longs jours de marche à-travers les petits villages isolés (qui devaient ressembler à celui où Yin avait grandi) dispersés ici et là sur le vaste territoire, puis les traversées en bateau. Haru était épuisé. Il n'avait jamais eu aussi hâte de rentrer à la maison.
Un beau matin, pourtant, il distingua enfin les côtes japonaises depuis la proue d'un navire. L'air marin emplit ses poumons et il fut incapable de s'empêcher de sourire.
— Regarde, Fu-Hsi, c'est chez-moi.
L'eunuque avait les yeux rivés sur l'horizon. Jamais dans toute sa vie il n'avait pensé qu'un jour il se retrouverait là. C'était plus loin qu'il n'avait jamais été de la Cité. Il en avait le souffle coupé.
Or, plus ils se rapprochaient de la terre, plus Haru plissait les yeux avec un air sceptique. Les montagnes qui parsemaient la grande île ne lui semblaient pas être tout à fait les mêmes que dans ses souvenirs... ou peut-être l'était-ce. À force de les rêver, il les avait peut-être trop idéaliser. À présent, rien ne lui semblait pareil. S'était-il si longuement absenté que les reliefs du paysage avaient eu le temps de changer ? Sans doute pas.
Quand ils accostèrent et récupèrent cheval et charrette, Haru se mit alors à entendre parler japonais tout autour de lui. Sa langue natale lui revint naturellement comme si elle ne l'avait jamais quittée. Fu-Hsi, quant à lui, semblait un peu perdu. Haru dut lui traduire plusieurs choses.
— Où devons-nous aller maintenant ? lui demanda l'eunuque, impressionné par les nouveaux paysages qu'il découvrait tout autour de lui.
— Nous devons nous rendre à Osaka, c'est là-bas que j'ai grandi.
Beaucoup de chemin les attendait encore, mais ils commençaient à y être habitués. Le soir, ils logeaient dans divers auberges, puis reprenaient la route au matin. Haru crut parfois qu'ils n'arriveraient jamais à destination, mais la joie d'être de retour dans son pays et de bientôt revoir sa mère lui rendait son optimiste.
Enfin, après de longs jours de route, ils purent voir les toits de pagodes rouges du palais du Shogun au loin. En un sens, l'architecture ressemblait un peu à celle de la Cité. Fu-Hsi y trouva plusieurs similitudes.
Le cœur de Haru fit un bon et il s'assura que le cheval trotte aussi vite que possible jusqu'aux portes du château. Cela ne faisait pas encore une année complète qu'il était parti, alors il eut la chance de se faire reconnaître à l'entrée. Les gardes semblaient assez surpris de le revoir, lui qui était porté disparu – ou mort – depuis plusieurs mois.
Une fois à l'intérieur, à sa demande, on lui amena un fauteuil roulant de bois et il put alors récupérer en grande partie son autonomie de déplacement. Il était tellement heureux d'être de retour ! Dans une grande salle, c'est sa tante qui l'accueillit. En le voyant, elle ne parut pas y croire.
— Haru-kun... c'est bien toi ?
— Oui, Oba ̄-chan, je suis de retour.
— Nous te croyions mort...
— Mais je suis en vie ! J'ai été gardé comme prisonnier, mais j'ai gagné ma liberté. Où est ma mère ?
Le visage de sa tante s'assombrit d'un seul coup et le jeune homme prit peur.
— Oh... Haru-kun... ta mère... après la mort de ton père... et te croyant mort... le chagrin la dévorait. Elle n'est malheureusement plus de ce monde-ci...
Le monde s'effondra autour de Haru. Il serait tombé à genoux s'il n'était pas dans son fauteuil. Pendant plusieurs minutes, il n'entendit plus le bruit autour de lui. Il se mit à trembler, sentant les larmes lui monter aux yeux. Que lui restait-il à présent ?
Fu-Hsi accourut en voyant l'expression de détresse sur son visage.
— Que se passe-t-il ? lui demanda-t-il en mandarin.
Mais Haru ne l'entendait pas, pas plus qu'il ne pouvait lui répondre. Tout ce qu'il entendait, c'était les battements frénétiques de son cœur. C'était comme si la terre avait cessé de tourner.
Cela lui prit un temps pour revenir à lui et quand ils le fut, il apprit dans la foulée que la mort de sa mère n'était pas la seule mauvaise nouvelle. Le retrait des troupes japonaises en Corée s'était terriblement mal passé et beaucoup de soldats y avaient laissé leur vie. En sus, un tremblement de terre avait secoué l'archipel il y a plusieurs semaines, détruisant plusieurs bâtiments et tuant encore plus de personnes. Beaucoup était à refaire. Sa tante ne cessait de répéter à quel point il était incroyable qu'il soit toujours vivant, mais Haru ne parvenait pas à s'en réjouir.
En après-midi, il put se recueillir sur la tombe de sa mère. La voir lui fit réaliser encore plus brutalement qu'elle n'était plus là. Sa mort devint plus réelle. Il regrettait de ne pas avoir pu lui faire savoir qu'il était en vie plus tôt. Si elle avait su... peut-être que les choses auraient pu être différentes, mais il était arrivé trop tard. Il avait beaucoup de mal à se pardonner même s'il savait que ce n'était pas de sa faute et qu'il avait été retenu contre son gré.
Grâce à sa tante, il put récupérer son ancienne chambre qui n'avait pas bougée depuis son départ, puis une autre fut attribuée à Fu-Hsi non-loin. Haru vit le guérisseur du palais du Shogun qui reprit son suivi médical.
Petit à petit, l'hiver s'installa, recouvrant la ville de neige. Au fil des semaines, Fu-Hsi parut s'accommoder à cette nouvelle vie. Il avait même appris plusieurs mots de japonais et arrivait à faire des phrases et tenir des conversations simples. Haru progressait dans sa rééducation. Un soir, il poussa un cri de surprise en réalisant qu'il était parvenu à bouger un orteil.
Outre la joie qu'il éprouvait lorsqu'il faisait des progrès, ses journées n'étaient rythmées que par ses discussions avec Fu-Hsi, les repas, ses rencontres avec le guérisseur et ses longues balades à l'intérieur du palais. Les jours étaient longs et il ne trouvait aucune occupation. On lui avait fait rapidement comprendre qu'avec son handicap, il ne pouvait être utile à rien et que songer à récupérer ses anciennes positions n'était pas envisageable. Il se demanda si c'était l'hiver qui le rendait aussi maussade. Les temps froids ne l'aidaient pas à faire le deuil de sa mère du moins. La neige le poussait plutôt à rester à l'intérieur, enfermé comme dans une cage. Il n'était pas évident de se déplacer en fauteuil quand il y avait de la poudreuse au sol.
Au fond de lui, Haru ressentait un grand vide dans son cœur.
En dépit de tout cela, la longue rééducation qu'il avait entrepris portait ses fruits. Un beau jour, Haru fut capable de se tenir debout. Juste ça, aussi banal que ça pouvait paraitre pour d'autres, il n'avait pas osé y croire. C'était un exploit. Se tenir sur ses deux jambes... il lui semblait qu'il avait oublié comment c'était que de voir le monde de si haut et comment il était grand.
Dans les jours qui suivirent, il se mit à faire quelques pas en s'appuyant sur une canne. Le guérisseur était très content des progrès rapides qu'il faisait. Haru répétait les exercices chaque soir dans sa chambre sans jamais se plaindre. Il voulait récupérer sa mobilité au plus vite et plus il progressait, plus il était motivé à en faire encore plus. C'était la seule chose qui faisait en sorte qu'il se levait le matin. Il n'avait aucune autre motivation le rattachant à la vie. C'était comme s'il avait tout perdu.
De jour en jour, le vide s'agrandissait dans son cœur et il parvenait de moins en moins à en faire abstraction. Lorsque Fu-Hsi s'en rendit compte, Haru fut incapable de lui cacher la vérité :
— Il n'y a plus rien pour moi ici..., lui avoua-t-il.
Il pensait que retourner au Japon lui permettrait de revoir sa mère et mettrait fin au mal du pays qui s'était emparé de lui, mais c'était tout le contraire pourtant. Sa mère était morte et les autres le percevaient comme un poids. Il était un des derniers survivants d'un chapitre de son Histoire que le Japon voulait enterrer. En vérité, il n'aurait pas dû revenir en vie. C'était comme s'il était une anomalie.
L'hiver semblait avoir gelé son cœur.
— Alors... vous êtes prêt à retourner à la maison ?
En regardant Fu-Hsi dans les yeux, Haru sut tout de suite ce qu'il voulait dire par-là.
La maison...
— Oui, je suis prêt...
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Fleur d'Orient
Historical FictionHaru, fils d'un homme d'État important près du shogun, n'a jamais eu la carrure d'un combattant. Pourtant, pour l'honneur de sa famille, il doit se joindre aux troupes japonaises qui tentent d'envahir la Corée sous domination chinoise. Bataille perd...