Chapitre 34.
Haru eut à peine le temps de se reposer qu'un eunuque du service impérial vint lui apporter un jeton. Tout de suite, le cœur du Japonais s'emballa, d'excitation et de nervosité mêlées. Il ressentait énormément de choses contradictoires... entre sa joie nouvelle d'avoir retrouver l'espoir de marcher un jour, l'appréhension de la réaction de l'Empereur quand il apprendrait qu'il voyait le guérisseur, l'excitation générale qu'il ressentait à l'idée de passer une nouvelle nuit dans les bras de Xiong Li, mais surtout... la colère qui l'envahissait quand il pensait aux mensonges dont il avait été la victime. Arriverait-il à dire tout ce qu'il avait sur le cœur à l'Empereur ? Et comment celui-ci réagirait-il ? Est-ce que cela gâcherait leur nuit ? Haru ne voulait pas pardonner facilement à Xiong Li. Des excuses ne suffiraient pas à ce qu'il oublie.
— Vous semblez nerveux, lui fit remarquer Fu-Hsi qui s'appliquait à le coiffer.
— Pour être honnête, je ne pensais pas que Xiong Li voudrait me voir... hier, il a mis fin de façon si abrupte à notre rendez-vous... je ne sais toujours pas si je pourrai lui dire tout ce que j'ai envie de lui dire.
— Craignez-vous sa réaction ? Qu'il devienne violent ?
Haru secoua vivement la tête.
— Non ! Bien sûr que non... J'ai confiance : il ne me fera aucun mal.
Depuis que l'Empereur ne buvait plus de saké, il avait beaucoup moins de sautes d'humeur. Et Haru n'avait pas peur de lui. Il savait que, d'une certaine façon, Xiong Li l'appréciait et qu'il ne ferait pas usage de la violence. Certes, leurs ébats étaient parfois un peu brusques, mais ce n'était que parce qu'ils l'avaient tous les deux voulu. Quand le Chinois était brutal dans ses gestes, Haru sentait qu'il le traitait comme un homme et pas comme une autre concubine fragile de son harem. Cette sensation lui plaisait. Comme s'il était spécial et que l'Empereur le traitait comme il ne traitait personne d'autre.
— Alors cessez de vous inquiéter. Tout ce passera bien. Pensez à ce que vous lui direz et faites-lui comprendre ce qui vous a déplu.
Haru ne pensait pas que ce serait si simple, mais il se garda de le dire. Même s'il n'avait pas peur que Xiong Li lui fasse du mal, il appréhendait tout de même un peu leur confrontation. Cela ne risquait pas d'être plaisant. Ce n'était pas tous les jours que l'Empereur se retrouvait confronté. Et il n'était pas dit qu'il aimait cela.
Le Japonais commençait à connaître la routine par cœur. Une fois prêt, on le transporta dans un palanquin jusqu'aux appartements privés de l'Empereur. La Cité était tellement colorée – avec les briques jaunes du quartier des concubines, par exemple – que Haru était toujours surpris de constater les murs très sobres de la chambre impériale, ornés de figures géométriques sans prétention. Fu-Hsi lui avait déjà expliqué que si les appartements de Xiong Li étaient si simplement décorés, c'était pour ne pas faire de l'ombre à la magnificence de l'Empereur, mais aussi comme signe de son caractère humble.
Haru avait longuement pensé à ce qu'il allait dire. Son discours était prêt et il s'apprêtait à tout déballer d'un coup quand, lorsque son regard se posa sur Xiong Li, il se retint. Il vit tout de suite que quelque chose n'allait pas. L'Empereur qui affichait habituellement une attitude si fière et hargneuse était assis sur son lit et fixait le vide à ses pieds.
— Xiong Li ?
L'interpellé releva la tête et Haru remarqua que ses yeux étaient rouges. Tout de suite, il fut bouche-bée parce qu'il n'avait jamais vu l'Empereur dans cet état auparavant. Il s'en retrouva troublé et incapable de dire quoique ce soit.
— Tu es venu me consoler, Haru ? lui demanda Xiong Li sur un ton qui se voulait moqueur, mais sans grande conviction.
— C'est vous qui m'avez fait venir...
— Peut-être bien...
Un lourd silence s'installa entre eux. Sans savoir quoi dire, Haru décida de revenir sur leur rendez-vous avorté de la veille.
— Pourquoi m'avoir fait rencontrer vos fils ?
— Comment les as-tu trouvés ? le relança immédiatement Xiong Li du tac au tac.
— Ils semblent brillants. Ils vous ressemblent énormément, mais...
— Ils ont les yeux de leur mère compléta l'Empereur à sa place, oui, je sais. C'est Sue qui a suggéré que je te les présente.
Haru resta surpris durant un instant. L'Impératrice avait voulu qu'il rencontre ses fils ? Mais dans quel but ?
— Je sais pour Sue, finit par dire le Japonais de but en blanc. Vous vous êtes rendu à son chevet hier, non ? J'étais quand ça s'est produit...
Xiong Li le regarda pendant un bref instant avant de détourner le regard à nouveau.
— Elle m'a raconté... je devais te remercier par ailleurs de l'avoir aidée. Cela faisait des semaines qu'elle n'avait plus eu de crises... son état ne s'améliore guère...
L'Empereur semblait sincèrement touché et attristé par la situation de Sue Liu. C'est alors que Haru réalisa soudain que c'était sans doute la maladie de l'Impératrice qui mettait Xiong Li dans un état pareil.
— Vous l'aimez beaucoup, je me trompe ?
Son interlocuteur prit une profonde inspiration.
— Elle est la mère de mes enfants. J'ai beaucoup d'affection pour elle.
Haru se souvint que ni Xiong Li ni Sue Liu n'avait encore parlé de son état de santé à leurs deux garçons. La situation devait être très difficile à gérer pour le couple impérial, encore plus dans la mesure où le mal qui affectait la jeune femme devait demeurer un secret aux yeux de tous. Sue Liu l'impressionnait énormément. La femme réussissait à cacher son état de santé tout en continuant d'assumer ses responsabilités d'Impératrice. Haru n'avait jamais connu une personne aussi forte.
La détresse de Xiong Li toucha Haru. L'Empereur se montrait vulnérable devant lui et il n'y était pas préparé. Il ne savait trop comment réagir. Haru se prit à vouloir le soulager de sa tristesse et du poids qui pesait sur ses épaules. Il voulait le prendre dans ses bras et l'enlacer jusqu'à ce qu'il oublie les problèmes qui le guettaient.
— Laissez-moi vous embrasser.
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Fleur d'Orient
Historical FictionHaru, fils d'un homme d'État important près du shogun, n'a jamais eu la carrure d'un combattant. Pourtant, pour l'honneur de sa famille, il doit se joindre aux troupes japonaises qui tentent d'envahir la Corée sous domination chinoise. Bataille perd...