Chapitre 29

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Chapitre 29.

Lorsque Haru reçut (sans grande surprise) le jeton impérial en fin d'après-midi, il ne pensa même pas à la nuit de plaisirs qui l'attendait, mais plutôt aux explications qu'il allait demander à Xiong Li de lui fournir. Pour le moment, il était encore très en colère par le mensonge de l'Empereur qui lui avait caché son diagnostique médical. Comment avait-il pu lui faire une telle chose !? Ignorait-il à quel point faire le deuil de ses jambes avait été long et difficile... et qu'il s'entamait tout juste ? Il aurait voulu détester le guérisseur pour lui avoir apporté une lueur d'espoir alors qu'il commençait tout juste à accepter qu'il n'y en aurait jamais.

Il avait fait aveuglément confiance aux paroles de l'Empereur sans chercher de second avis. Il avait accepté qu'il ne remarcherait plus et n'avait même jamais essayé de se tenir debout à nouveau. Xiong Li était si cruel... Et Haru ne savait plus quoi penser de cet homme. Son opinion à son sujet semblait vaciller à chaque jour qui passait, oscillant entre la hargne et le désir.

Enfin, avant toute chose, le premier geste d'Haru fut de prendre rendez-vous pour voir le guérisseur dès le jour prochain. Plus que tout, il souhaitait commencer cette rééducation qui lui promettait monts et merveilles.

Il hésita à parler de la situation, mais finit tout de même par se confier à Fu-Hsi, car il sentait qu'il avait besoin d'un second avis. Était-il le seul à trouver que le comportement de l'Empereur avait dépassé les bornes ?

— Alors vous pourrez marché à nouveau ?!

— Mais on m'a averti que ce serait un processus très, très, très long... alors je ne me fais pas trop d'illusions non plus. Si je parviens à remarcher, ce ne sera pas avant longtemps. Déjà, si je pouvais me tenir debout, ce serait déjà incroyable.

— Mais vous en êtes heureux ?

— Bien sûr que si.

Mais il essayait de contenu son excitation et de ne pas caresser trop d'espoirs au risque d'être déçu si les choses n'allaient pas comme il le voulait.

— Mais je ne parviens pas à pardonner à Xiong Li de ne m'avoir rien dit, ajouta-t-il, puisque c'était ce qui le chicotait le plus.

— Loin de moi l'idée de défendre son comportement, mais vous ne vous connaissiez pas encore très bien à ce moment-là...

Haru secoua la tête avec ferveur.

— Il a eu mille occasions de rectifier le tir depuis que nous nous voyons ! Cela n'excuse rien ! Même si rien n'est assuré... il y avait une possibilité que je puisse remarcher et il n'a rien dit ! Il a préféré me laisser croire que tout était perdu et que je ne serais plus jamais utile autrement que comme sa concubine.

L'eunuque prit une expression songeuse, puis il émit une théorie de son cru.

— Il craint peut-être que vous lui échappiez...

Car Haru n'avait pas joint le harem de son plein gré et qu'il était un homme avant tout. Xiong Li avait peut-être peur qu'il ne décide de s'enfuir s'il retrouvait la motricité de ses membres inférieurs. Il serait alors bien plus difficile de contenir Haru qui, malgré son ossature frêle, demeurait un combattant expérimenté et agile.

— Même avec deux jambes pleinement fonctionnelles, je doute qu'il soit aussi aisé de fuir la Cité.

L'endroit était immense et il y avait des gardes partout. Les portes, elles-mêmes gigantesques, étaient si lourdes qu'il fallait une petite armée pour les entrouvrir. Haru s'imaginait bien mal, après quelques semaines de rééducation, prendre la poudre d'escampette et fausser compagnie à l'Empereur sans la moindre difficulté. On ne sortait pas de la Cité comme on le voulait.

— Oui... je n'en suis moi-même jamais sorti, fut forcé d'admettre Fu-Hsi.

Haru écarquilla les yeux suite à cette révélation. Maintenant qu'il y pensait, il réalisait bien que la plupart des eunuques nés ici n'avaient pas dû quitter la Cité, surtout s'ils étaient au service des concubines du harem, mais cela pouvait tout de même surprendre.

— Jamais ? Alors que ce royaume est si grand... tu n'as jamais songé à partir ?

L'eunuque arqua un sourcil. C'était presque comme s'il se moquait de lui pour avoir dit quelque chose d'aussi stupide.

— « Partir » ? Ce n'est pas le genre de chose auxquelles on nous autorise à penser. J'ai fait le choix de devenir eunuque pour obtenir un emploi et sortir ma famille de la pauvreté... je ne suis jamais sorti d'ici. M'imaginer partir est un luxe que je n'ai pas.

Tous les hommes au service du harem subissait une ablation des testicules pour qu'ils ne soient alors pas tentés de procréer et de fonder une dynastie. C'était la condition sine qua non à l'obtention d'un travail au service impérial. Et certains étaient mieux lotis que d'autres. Certains eunuques possédaient des postes importants auprès de l'Empereur, tels que conseillers, précepteurs ou même ministres.

— Cela ne fait quelques semaines que je suis ici et je pense déjà devenir fou quand je songe trop longtemps que je ne reverrai plus jamais les montagnes. Tu sais que l'on dit que la Chine est un royaume très montagneux ? On m'a souvent vanté les montagnes d'ici, plus grandes encore que celles du Japon. Tu n'aimerais pas les voir ?

Fu-Hsi soupira.

— Bien sûr que si, mais je préfère ne pas y penser. Ma vie est ici.

Haru pouvait deviner que le sujet lui était un peu sensible, alors il choisit de ne pas insister davantage. Fu-Hsi avait la même résilience tranquille que Sue Liu. Du moins, il lui faisait penser à elle. Tous ces gens s'étaient résigner à vivre ici et à ne jamais quitter ni le harem ni la Cité... Haru aurait aimé partager ce sentiment et pouvoir accepter aussi facilement le rôle qu'on lui imposait de jouer, mais il n'y arrivait pas... pas complètement. Il avait l'âme d'un guerrier et pas d'un amant docile. Seule sa mobilité réduite le rendait si malléables entre les mains de l'Empereur. Parfois, il lui arrivait de se demander s'il parviendrait un jour à être heureux en demeurant comme concubin.

Combien de temps encore pourrait-il prétendre être une femme sans que son secret ne soit trop écorché ? La comédie ne pourrait durer éternellement et même Xiong Li ne pouvait pas l'ignorer.

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