Chapitre 30

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Chapitre 30.

C'est presque à contrecœur, mais avec la détermination d'une furie, que Haru alla voir l'Empereur. Cependant, il fut surpris de constater qu'on ne l'amenait pas directement dans les appartements de Xiong Li, mais plutôt dans un des jardins comme la dernière fois, juste avant le départ de l'homme pour son voyage diplomatique en Corée. Le Japonais fut déstabilisé de se retrouver là-bas, alors qu'il s'était préparé à affronter Xiong Li en terrain davantage connu. Ce qu'il découvrit dans le jardin le surprit encore plus : l'Empereur avait attaché sa longue chevelure en une queue de cheval lâche sur le sommet de son crâne et, vêtu de vêtements amples et moins « luxueux » qu'à l'habitude, il semblait donner des cours de maniement des armes à deux jeunes garçons d'environ huit et dix ans.

Haru n'entendait pas ce qu'il disait de là où il se trouvait, mais il pouvait voir Xiong Li corrigé la posture du premier enfant, puis gronder le second en désignant la manière incorrecte qu'il avait de tenir son dao.

Soudain, l'Empereur se tourna et esquissa un sourire en le voyant. Haru le vit dire quelques chose aux garçons avant qu'il ne vienne vers lui.

— Haru, approche.

Suspicieux, le Japonais obéit, faisant rouler son fauteuil en suivant l'Empereur plus près du terrain d'entraînement des deux jeunes garçons. Les enfants s'étaient mis en garde et commencèrent un duel amical. Xiong Li les observait avec une grande fierté dans le regard. Maintenant qu'il était plus près, Haru put mieux les voir et il lui devint vite évident à ses yeux qu'ils étaient, avec leurs longs cheveux noirs remontés en toque et leurs pommettes ciselées, de mini copies conformes de Xiong Li... mais ils avaient les yeux de Sue.

— Zang Li, je t'ai dit de baisser le bras ! Et concentre-toi davantage. Chang Li, mets-y plus de force !

Écoutant les conseils qui lui étaient proférés, Zang Li finit par mettre l'autre garçon au tapis en riant. Haru se sentait bizarre, tandis qu'il les regardait s'affronter de façon aussi candide. Ces enfants lui rappelaient sa rencontre avec Xiong Li, leur toute première rencontre. Ils devaient avoir sensiblement le même âge quand ils s'étaient vus dans une des cours intérieures du palais du Shogun.

Comme le combat se terminait, Haru osa poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Ce sont vos fils ?

Xiong Li sourit avec une certaine tendresse.

— Oui... Zang Li est l'aîné. Je ne peux pas passer autant de temps que j'aimerais avec eux, mais j'essaie de leur montrer à se défendre, car la vie ne sera pas tendre avec eux. J'espère seulement qu'ils ne se détruiront pas comme l'ont fait mes oncles quand viendra le temps de me succéder...

Le visage de l'Empereur s'assombrit d'un seul coup. Haru se rappela alors ce que lui avaient raconté Ming Han et Sue Liu à propos de la jeunesse tourmentée de Xiong Li et de la mort de son père. Le Chinois n'avait pu compter sur personne... même sa famille la plus proche l'avait trahi. Cela avait dû être difficile... Le Japonais pouvait le comprendre en partie. Il avait lui-même perdu son père et ne s'était jamais senti très apprécié par sa famille dont il avait pourtant eu la responsabilité assez jeune. Mais ce n'était rien comparé de Xiong Li qui avait pris le rôle d'Empereur lui revenant de droit alors qu'il était à peine sorti de l'adolescence, devant déjà engendrer un héritier et gérer un si vaste royaume tout en gagnant le respect des uns et des autres.

Tandis qu'il songeait à tout cela, il ne remarqua pas que Zang Li et Chang Li couraient dans sa direction à toute vitesse. En un rien de temps, ils furent à sa hauteur et le bombardèrent de questions :

— C'est toi, Haru ?

— Père n'arrête pas de parler de toi !

— Il paraît que c'est toi qui lui as fait cette cicatrice sous l'œil ! C'est vrai ?

— Tu es trop forte !

En tournant la tête, Haru jura avoir vu Xiong Li rougir ! Ce dernier tenta aussitôt de ramener ses garçons à l'ordre :

— N'agressez pas Haru comme ça, les réprimanda-t-il sévèrement, ce n'est pas comme ça que l'on va appris à traiter les dames, alors un peu de tenu. Vous ne voudriez pas faire une mauvaise impression.

Les enfants baissèrent alors les yeux au sol, comme un chien la queue entre les pattes.

— On est désolés...

— Oui, on ne le refera plus.

Le Japonais aurait voulu leur dire que ce n'était rien tant ils semblaient piteux, mais il n'en eut pas l'occasion.

— Retournez vous entraîner maintenant, ordonna Xiong Li d'un doigt impérieux.

Après s'être poliment inclinés devant Haru, les garçons retournèrent jouer avec leurs armes. Le jeune homme les regarda s'éloigner avant de se tourner vers Xiong Li et de réaliser que le Chinois le regardait aussi.

— Ils me font penser à nous, pas toi ?

Haru écarquilla les yeux, surpris par les paroles de l'Empereur. Sur le coup, il le dévisagea. Se pourrait-il qu'il puisse lire dans ses pensées ? Non, c'était impossible. Comment pouvait-il penser l'exact même chose que lui ? La réflexion de l'homme le troubla.

— Oui, sans doute..., murmura-t-il du bout des lèvres.

— Mais ils ont des vraies armes et pas des bouts de bois comme tu en avais...

Haru leva les yeux au ciel, incapable de retenir un sourire.

— On craignait que je me blesse, protesta-t-il.

Oh, comme il avait été jaloux en voyant la lame métallique et brillante du dāo de Xiong Li, alors qu'il devait se contenter d'un katana en bois. Il avait supplié son maître jusqu'à avoir lui aussi droit à une arme véritable, ce qu'on avait continué de lui refuser jusqu'à ce qu'il ait un niveau suffisant.

— Je veux qu'ils se blessent, c'est ainsi qu'ils apprendront à mieux se défendre.

En sachant ce qui faisait mal, on apprenait à tout faire pour l'éviter. Du moins, c'est ainsi que Xiong Li envisageait l'éducation de ses garçons. Ils devaient apprendre à être forts, car un jour, l'un d'eux deviendrait Empereur.

Le Japonais était fasciné par les différences et les similitudes entre son éducation et celle de Xiong Li. On l'avait toujours considéré comme un objet fragile, alors que le Chinois avait dû être rapidement confronté au danger et à la violence. Haru se souvenait à quel point Xiong Li lui avait paru sérieux pour son âge quand ils s'étaient rencontrés pour la toute première fois. Il avait déjà l'air d'avoir vécu cent vies, ce qui n'était pas étonnant quand on connaissait le climat politique trouble dans lequel il était né.

Devant le spectacle de ces deux enfants qui s'entraînaient aux arts martiaux, Haru en avait presque oublié la colère qui l'habitait en venant jusqu'ici. Il avait réellement été troublé par la rencontre des fils de Xiong Li. Il ne s'était pas imaginé que ce serait... comme ça. Parfois, il lui arrivait même d'oublier que l'homme était père. Pour autant, il essaya de se rappeler à l'ordre et de ne pas perdre son objectif de vue, car il voulait mettre les choses au clair. Même s'il était Empereur, Xiong Li devait comprendre qu'il y avait certaines choses qui étaient impardonnables. Des excuses ne suffiraient pas. 

Fleur d'OrientOù les histoires vivent. Découvrez maintenant