Chapitre 17

230 26 2
                                    

11 juin XX89

Abi visa soigneusement la poubelle qui se trouvait placée à l'autre bout de sa tente. Rageusement, elle lança la boule de papier et manqua son tir : elle atterrit lamentablement à côté de la corbeille, auprès de cinq autres boules froissées. La jeune fille poussa un juron mais ne se leva pas pour autant ; se retournant face à son bureau, elle tapota du bout du crayon une énième feuille vierge.

Cela faisait quelques jours à présent qu'elle réfléchissait à un moyen de se débarrasser de Paul, celui qui était chargé de sa surveillance discrète par Giovanni. Abi retint un ricanement moqueur : Paul avait été tout sauf furtif lors de sa surveillance : l'adolescente l'avait repéré rapidement. Cependant, elle se gardait bien de faire tout mouvement imprudent ou trop détendu : si Paul faisait son rapport à Giovanni tous les soirs (ce qui était certain), une attitude trop détachée serait apparue comme suspecte. Si le chef de la Team avait compris qu'elle avait découvert l'identité du prisonnier, un comportement neutre ne lui aurait pas parut naturel. Giovanni savait qu'Abi tenait à ses amis, et ce, même s'ils étaient des ennemis de la Team. La jeune fille agissait donc de manière naturelle, sans cacher le voile d'inquiétude qui masquait constamment son visage.

Abi soupira. Il y a quelques jours, quand Green lui avait annoncé qu'il avait lancé la première phase de leur plan, elle lui avait révélé qu'elle était filée ; elle lui avait également dit qu'elle trouverait une solution pour se débarrasser de Paul. Sauf que... Sauf qu'elle n'avait aucune idée de la façon dont elle allait procéder. Attirer Paul dans un coin et le menacer étaient aussi dangereux qu'idiot : elle n'était pas en position de force et n'avait aucun moyen de pression. Le semer prouverait qu'elle avait quelque chose à cacher : dans ce cas, Giovanni trouverait un moyen de lui faire faire un faux pas et tout tomberait à l'eau. Devenir proche de Paul serait plus que suspicieux : Abi ne s'était jamais vraiment lié avec quelqu'un au sein de la Team.

Agacée, elle jeta son crayon sur le bureau et se leva pour faire les cent pas. Green était parti en mission. Elle aurait bien voulu rendre visite à Evoli, seulement...

Seulement, deux nuits auparavant, alors qu'elle se promenait dehors pour trouver le sommeil, Abi avait vu deux sbires entraîner Lómion hors de la tente de Giovanni. Elle se rappela s'être figée quand elle les avaient vu se diriger vers les cachots.

Depuis, la jeune fille avait peur d'aller voir Evoli. Et si elle croisait Lómion, enfermé dans une des geôles ? Bien sûr, elle s'était peu posée la question à propos de Red et Blue lors de sa première visite aux cachots ; à ce moment, seul le fait de savoir si Evoli était réellement enfermé derrière les barreaux lui importait.

Ses pensées se tournèrent vers Lómion. Depuis le jour de l'interrogatoire elle n'avait cessé de songer à lui. Elle n'arrivait toujours pas à se mettre en tête qu'il était N, le prince disparu. Pour elle, il était impossible que ce soit lui. Cependant, Giovanni en était convaincu, mais pour quelle raison ? Elle le maudit de l'avoir mis sous surveillance : à cause de cela, elle ne pouvait pas faire des recherches. Et même si elle s'était totalement remise de ses blessures, Abi restait encore convalescente. Ses jambes étaient encore incertaines quand il s'agissait d'un gros effort physique. De plus, Giovanni pouvait l'appeler à tout moment pour une aide quelconque. Semer Paul et filer du camp étaient donc proscrit. Elle posa la tête sur le bureau, agacée. Elle haïssait se retrouver devant une impasse.

                                            *****

Absol tirait sur ses chaînes, poussant des gémissements plaintifs. Son jeune maître se trouvait là, à deux pas de lui, inconscient. Il avait beau tirer, étirer ses membres, il n'arrivait pas à l'atteindre. Il voulait absolument s'assurer qu'il respirait encore, qu'il allait bien. Il poussa à nouveau un long gémissement. Ses entraves lui brûlaient la peau et arrachaient les croûtes de son ancien combat. Il s'en voulait, il s'en voulait tellement de ne pas avoir pu aider son jeune dresseur ! Il se maudissait de son manque d'expérience en combat ; il possédait des attaques puissantes mais avait toujours préféré fuir les hommes et leurs conflits. Mais là, en cet instant, il regrettait amèrement de ne pas s'être frotté un peu plus aux humains : si tel avait été le cas, il aurait certainement pu mieux défendre son jeune maître.

Destins (livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant