Chapitre 25

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Installé par terre près de l'amas de bois et de cordes, Félix bloquait de ses genoux la construction de fortune qu'il venait de passer une bonne demi-heure à bricoler. Ça tiendrait ce que ça tiendrait. En attendant, il n'avait rien de mieux à proposer aux cinq énergumènes qu'il avait recueillis la veille. Qu'allaient-ils devenir ? Le brun n'en savait rien. Malgré les sages paroles d'Olivier, qui lui conseillait d'être patient avec eux et d'attendre quelques jours le temps que leurs blessures soient tout à fait guéries, leurs présences le soûlaient déjà grandement. Leur Arbre n'était pas un hôtel, merde !

D'un autre côté... cela faisait une éternité qu'il n'avait plus eu à côtoyer autant de personnes humaines et amicales. Deux ans, depuis que Seth l'avait fait débarquer dans ce monde, à Néguentria. Les réminiscences de sa vie passée lui rappelaient qu'il était sociable, autrefois. Mais aujourd'hui, qu'en était-il ? Serait-il capable de supporter cette cohabitation forcée, si elle venait à s'éterniser ?

Laissant l'un de ses genoux à terre, l'homme posa son autre pied sur les épais barreaux de bois et tira de toutes ses forces sur la corde grisâtre, serrant le nœud qu'il venait de former. Il entrelaça les liens, les attacha de nouveau pour s'assurer de leur solidité, puis se releva et contempla son travail un bref instant en s'essuyant le front du revers de la main. Au passage, il remit par instinct ses mèches de cheveux en place le long de sa tempe gauche.

Les miroirs n'étaient pas monnaie courante en pleine forêt : impossible pour lui de croiser son reflet depuis deux ans. Olivier et lui vivaient seuls à l'Arbre et n'avaient presque aucun contact avec les autres habitants de Néguentria. Il n'y avait donc personne pour le voir ainsi, mis à part son ami de toujours, mais... Félix n'aimait pas ce tatouage indésiré. Il le haïssait, de tout son être, de la même manière qu'il haïssait celui qu'il avait été par le passé.

— Bon, ça devrait l'faire.

S'accordant à peine une demi-seconde de concentration, il adopta sa forme animale. Au contraire des jeunes Transformés, sa métamorphose lui était naturelle – comme une seconde peau. Saisissant entre ses serres l'extrémité de son échelle, le Phénix de Feu battit puissamment des ailes et s'éleva dans les airs, redressant sa construction de fortune pour aller l'appuyer contre le rebord en bois servant de mezzanine. Voletant jusqu'au centre de l'Arbre, il se retourna afin d'étudier le résultat. Ça semblait solide. Du moins, il l'espérait pour ceux qui iraient faire les mariolles dessus... car il était absolument hors de question que lui-même monte sur ce truc.

Un croassement admiratif et légèrement moqueur le fit pivoter, juste à temps pour voir surgir Olivier à travers l'ouverture de l'étage.

C'est bon... Moi et l'bricolage, tu sais bien, rétorqua le Phénix de Feu, davantage amusé que vexé par son commentaire.

— Croâ, croâ, le félicita tout de même le corbeau, espérant comme lui que l'échelle serait assez résistante pour supporter le poids de leurs nouveaux colocataires.

Bah, on verra.

Le rapace légendaire au plumage rougeoyant s'approcha de son meilleur ami et tournoya autour de lui pour examiner les deux énormes grappes de fruits qu'il portait.

Ah, t'as mis la serre sur des droplets. Cool, ça. Pas d'ennuis avec les autres Créatures ?

— Croâ.

Tant mieux.

Tout en discutant, ils s'étaient rapprochés du sol. Félix redevint humain et délesta Olivier de son chargement. Pendant que l'oiseau noir se perchait au bord d'une jarre, l'homme détacha une à une les grosses baies bleutées de leurs grappes et les déposa sur le tas de vêtements qui attendait les cinq jeunes gens.

NÉGUENTRIA (Les Transformés - Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant