NÉGUENTRIA (Les Transformés - Tome 1)

Chapitre 27

Quelques jours passèrent, durant lesquels les cinq amis s'entraînèrent pour apprendre à maîtriser leurs formes animales. Ce qui était si évident du point de vue de Félix ne l'était pas encore pour eux ; ils avaient beaucoup de travail à fournir avant d'espérer parvenir à se Transformer aussi facilement que lui.

Durant ces journées, ils peinèrent à nouer un dialogueavec Félix. Autrefois à son aise dans les bains de foule que lui imposaient lesconventions et son statut de Youtubeur, il était prêt à discuter et à rire detout avec n'importe qui, même de parfaits inconnus. Mais aujourd'hui, leur aîné n'était plus que l'ombrede lui-même. Dès qu'une conversation s'éternisait trop longtemps à son goût, ildevenait nerveux. Lorsqu'il leur laissait quartier libre en fin d'après-midi,il ne demeurait pas avec eux et fuyait à travers la forêt, comme pours'épargner de devoir supporter leur présence. Les cinq amis en avaient d'abordété blessés. Puis ils s'étaient peu à peu habitués à soncomportement versatile et taciturne. Désormais, ils n'en prenaient plus ombrageet se contentaient d'apprécier au maximum les instants que Félix daignait passeren leur compagnie. 

Une routine finit par s'installer. Après qu'ils aient dormi plus ou moins tard, Olivier les réveillait de ses croassements incessants. Ils petit-déjeunaient de ce qu'ils trouvaient dans les caisses de ravitaillement et changeaient les bandages de Judicaël et de Varian. Leurs blessures n'étaient plus douloureuses et cicatrisaient davantage à chaque jour qui s'écoulait. Puis ils passaient la fin de matinée et une bonne partie de l'après-midi avec Félix, à travailler leurs Transformations. Celles-ci devaient devenir simples et efficaces, réalisées sans hésitation, en quelques secondes à peine. Mais pour certains, la tâche était plus ardue qu'il n'y paraissait au premier abord... Alors ils s'entraînaient sans relâche, encore et encore.

De toute manière, ils n'avaient pas grand-chose d'autre à faire de leurs journées : ils étaient perdus en pleine forêt, isolés du reste de Néguentria.

Chacun avait en tête l'aspect théorique, que Félix avait mis plusieurs heures à leur expliquer le premier jour. Athénaïs et Liam avaient rapidement compris et assimilé ses paroles, qui leur paraissaient claires et évidentes : après tout, ils étaient tous les trois des oiseaux. Pour eux, le procédé était identique. Sans qu'ils n'en soient conscients, leur ressemblance les rapprochait. Parfois, l'un des rapaces lâchait une remarque à laquelle les deux autres souriaient. Un lien ténu mais réel s'était ainsi créé entre eux.

Axel, Judicaël et Varian avaient eu plus de difficultés à saisir toutes les subtilités de cet étrange pouvoir. Leurs formes de quadrupèdes les éloignaient de certaines considérations pratiques et soulevaient au contraire d'autres interrogations que le Phénix de Feu dédaignait. En apparence, du moins... Il ne répondait pas à leurs questions dans l'immédiat, mais il semblait que la nuit lui portait conseil, car il n'était pas rare que le lendemain, Félix aborde des points qui leur avaient posé problème la veille, et les traite avec facilité. Comme s'il connaissait déjà les réponses, mais cherchait à faire réfléchir les jeunes métamorphes par eux-mêmes plutôt que de leur donner directement la solution qu'ils recherchaient.

Les Transformations des trois jeunes hommes avaient été plus complexes à appréhender, mais ils y étaient finalement parvenus, à force de patience et d'acharnement.

D'eux cinq, Axel et Judicaël étaient ceux qui avaient le plus de mal à se changer en animaux. Le premier y arrivait, mais prenait toujours son temps par peur de commettre une erreur. Son application soigneuse et exagérée irritait Félix. Lorsqu'il avait tenté de lui faire accélérer le mouvement en lui rappelant durement qu'il n'aurait pas toujours l'éternité devant lui pour se métamorphoser, le Kitsune avait paniqué, tétanisé de se faire engueuler pour rien. Face à ses petits cris d'excuses, le Phénix de Feu l'avait laissé en plan durant le reste de la journée. Entendre les glapissements incessants du renard finirait immanquablement par le foutre encore plus en rogne qu'il ne l'était déjà.