Chapitre 30

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— Athé ne vient pas ?

C'était Judicaël qui venait de poser la question, surpris, alors qu'ils s'installaient pour manger au centre de l'Arbre. Félix s'était volatilisé, comme à son habitude dès que le soir approchait. Olivier leur tenait compagnie et faisait des allers-retours jusqu'aux caisses de ravitaillement pour leur apporter de la nourriture, quand ils n'allaient pas s'y servir eux-mêmes.

Chose curieuse, les autres avaient commencé à boire et à manger sans attendre qu'ils soient tous réunis. Athénaïs était pourtant dans les parages : lorsqu'il était revenu à l'Arbre avec Varian, Jude se trouvait encore sous sa forme de loup et en avait profité pour flairer les environs. L'odorat de son animal était très sensible. Au fil des jours, Judicaël avait appris à reconnaître les odeurs personnelles de chacun des Transformés, ainsi que celles de Félix et d'Olivier. À présent, lorsqu'il revenait de ses escapades en solitaire une fois la nuit tombée (et qu'il croisait parfois Varian sur son chemin), il avait pris le réflexe d'inspirer à fond avant de redevenir humain, à la recherche des parfums de ses compagnons, pour s'assurer qu'ils étaient tous là. Ce soir, comme tous les autres ou presque, l'odeur de Félix manquait à l'appel. Mais la senteur un peu épicée de sa chère Athénaïs était pourtant présente. Ses amis avaient-ils oublié de l'appeler pour manger ?

Jude et Varian n'étaient pas avec eux pendant l'après-midi et n'avaient par conséquent pas assisté au feu noir de Liam ni à la chute spectaculaire de la chouette effraie : ce fut Axel qui leur raconta tout, avant de désigner du menton l'alcôve où ils dormaient.

— Elle nous a dit qu'elle allait se reposer, elle doit toujours être là-bas.

— D'accord...

Le Breton les abandonna un instant pour aller voir comment se portait sa chérie. Il la trouva roulée en boule dans un coin du creux, tournée vers la paroi de bois. Elle tenait un bout de tissu noir serré contre sa poitrine et s'était emmitouflée dans une couverture, alors qu'il ne faisait pourtant pas encore si froid que ça. Après avoir hésité un instant, Jude s'agenouilla près de sa petite amie et posa doucement une main sur son épaule.

— Athé... ?

Elle n'eut aucune réaction. Il crut qu'elle dormait, avant de percevoir un son qu'elle avait tenté en vain de rendre discret. Un reniflement. Elle pleurait. Le jeune homme se mordit la lèvre inférieure, accentua légèrement sa pression, puis bougea sa main pour lui caresser le bras.

— Athé... Je sais que tu es réveillée, aelig. Qu'est-ce qui ne va pas ?

— 'va... lui répondit un grognement étouffé quasi-incompréhensible.

— Non, ça va pas... Tu peux m'en parler, ma c'halon... Je suis là...

Un long silence accueillit son murmure réconfortant. Il commençait à penser qu'elle resterait muette quand un soupir douloureux lui parvint enfin, du plus profond du tissu noir dans lequel elle avait fourré sa tête.

— ... et pas lui.

— Quoi ?

— T'es là, toi... Et pas lui... Pourtant, j'ai cru... Quand Félix m'a... Putain, gémit seulement la jeune femme avant de se remettre à pleurer.

Il fallut quelques minutes à Judicaël pour emboîter les pièces du puzzle et comprendre enfin ce qui hantait sa chérie. C'était pourtant si évident. Nova... ou plutôt, son absence. Qui d'autre pouvait mettre Athénaïs dans un tel état ? Tant bien que mal, il l'enlaça maladroitement. Il aurait aimé pouvoir la rassurer, la faire se sentir mieux... Tout ce qu'un petit ami digne de ce nom aurait dû être capable de faire pour apaiser sa moitié. Mais il ne pouvait pas. Il tentait de comprendre, il faisait tout son possible, mais sans avoir jamais été lié à un Esprit, il n'avait aucune idée de ce qu'elle vivait, en réalité. Aucune idée de la douleur intense qui la torturait nuit et jour à l'infini. Jude était impuissant. Inutile. Et ça le faisait enrager.

NÉGUENTRIA (Les Transformés - Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant