La rentrée de janvier fut pour moi un tournant décisif dans ma vie. Le tournant de la destruction physique et psychologique. La journée avait bien commencé. Les élèves parlaient de leurs résultats de Noël, de ce qu'ils avaient fait pendant les vacances. Je n'avais rien à leur raconter, vu que je n'avais rien fait pendant les vacances. À midi, j'allai comme d'habitude dans la cour pour manger avec Marianne. Mais qui était assise à côté d'elle ? M., of course. J'hésitai à m'avancer vers elles, pendant quelques minutes. Je ne savais pas si je devais y aller, ou si je devais manger tout seul. Finalement, je décidai d'aller leur tenir compagnie. J'aurais mieux fait de ne pas y aller. On causa tout le temps de midi à trois. Le lendemain, M. était à nouveau là. Depuis ce jour, elle resta avec nous. Je commençais donc à mieux la connaître et je l'appréciais de plus en plus.
Après plus ou moins une semaine de cours, Marianne tomba malade. À partir de ce jour-là, M. et moi, on ne se quitta plus. Le soir-même de ce premier midi en tête à tête, je lui écrivis pour tout lui avouer. Je lui écrivis une belle lettre, sans vers. J'eus déjà la réponse deux jours après. La lettre était bien gentille, mais la réponse était claire, un non catégorique, mis dans de douces phrases pour atténuer le fait. Elle m'expliqua aussi, dans cette lettre, qu'elle avait compris mes embrouilles de novembre, car je lui avais envoyé une carte lui souhaitant de bonnes fêtes et la remerciant pour sa carte de bon rétablissement. Bref, mon embrouille avait foiré.
Quand j'eus fini de lire cette lettre, une déchirure profonde, si douloureuse s'opéra en moi. À partir de ce moment-là, je ne fus plus jamais le même. Je pleurais, je hurlais, je désespérais, je ne savais plus quoi faire. Je n'ai pas ouvert la bouche chez moi pendant trois jours tellement j'avais mal. Moi qui pensais arrêter de fumer pour elle, engloutissais à nouveau un paquet par jour, je ne savais (pouvais) plus m'arrêter, faire marche arrière, mon amour pour M. était beaucoup trop fort. J'étais arrivé à un point de non-retour. Mon amour continuait à croître de jour en jour, en même temps que ma tristesse.
Le mercredi, à la sortie de l'école, mon fameux pote Marc, vit que ça n'allait pas. Je lui racontai mes ennuis et il me donna deux grammes de superskunk. Je commençais à vraiment tâter de l'herbe, j'en prenais quasi quotidiennement. M. savait que je m'étais fait quelques joints, mais elle ne sait que depuis très peu de temps que je fumais tous les jours. Le monde était en train de s'écrouler, plus rien ici ne me retenait. Ma souffrance, comme mon amour pour elle grandissait de jour en jour. Je ne voulais plus me lever le matin pour retourner dans ce monde pourri, tout ce qui se trouvait autour de moi ne m'inspirait que dégoût. Bon nombre de fois, je pensais au suicide, tous les jours, j'avais envie d'en finir avec la vie. Je n'avais plus personne, aucun ami, aucun but, que de la souffrance en moi. Je trouvais mon réconfort dans l'herbe, qui me faisait tout oublier, mes problèmes, mes espérances, mes dégoûts...
Chaque moment de libre je le passais avec M. C'était impossible de m'en détacher, plus je la fréquentais, plus j'étais accro à elle. Je souffrais continuellement en silence. Je n'ai jamais montré mon désespoir à quelqu'un. J'avais l'impression qu'un immense trou noir se creusait sous moi, et qu'un jour la paroi qui me retenait sur terre craquerait. En tout cas, la paroi n'a pas duré longtemps. De jour en jour, je m'enfonçais plus profondément dans les abysses. Je ne faisais plus rien à l'école. J'écrivais de temps en temps un poème à M. C'est vers cette période-là que je composai « Cadenas » et « Accro de toi ».
Cette année-là, les enseignants se mirent en grève suite à une énième réforme de nos charmants ministres. Pendant que l'école était fermée, je restai chaque fois chez moi, enfermé dans mon monde à moi seul, peuplé de souffrance et de tristesse. Soit je buvais, soit je fumais. Quand nous fûmes obligés de retourner aux cours, pendant que j'avais des profs grévistes, je me cassais de l'école, allant boire quelques bières au Bureau ou au Mayflower, ou allant fumer encore un joint, tout seul ou avec des copains. La destruction continuait, tous les jours je pensais au suicide, ne sachant pas si j'allais le faire ou pas.
Les autres ne comptaient plus pour moi. Je m'en foutais de leur faire mal, de ce qu'ils pensaient. Seule ma personne comptait. Juste ma satisfaction personnelle. Je n'ai pris conscience de cela qu'un an après. J'ai fait énormément souffrir M. et je ne m'en rendais pas compte. Elle voyait bien que j'avais mal, elle essayait de me réconforter, mais ça ne servait à rien, rien ne pouvait m'aider à sortir de mon trou noir. La fête d'unité arriva. J'eus là ma première grosse cuite. Je ne suis resté avec M. que cinq minutes. Je savais mes intentions et je ne voulais pas qu'elle me voie sur le fait. J'avalai en cul-sec pour la première fois de ma vie bière sur bière, jusqu'à ce que ce que mon estomac ne le supporte plus. Bref, j'ai été bien malade et à deux heures du matin je me suis retrouvé à nettoyer le couloir de ma maison.
Les vacances de Pâques arrivèrent, ainsi que le camp de patrouille. Là, j'ai vraiment découvert la boisson. Les jeunes scouts n'étaient pas là et on en a profité. Le problème, c'est que, en plus de l'herbe, j'eus la boisson qui se rajoutait comme exutoire. Je n'ai pas souffert d'alcoolisme, mais chaque fois que j'avais l'occasion, je me mettais à boire ou à fumer, ce qui arrivait de plus en plus régulièrement.M. m'avait invité un après-midi chez elle pendant ces vacances-là, et nous sommes allés au cinéma avec une de ses copines. J'ai manqué au moins la moitié du film. Je n'arrêtais pas de la regarder. J'espérais encore sortir avec, qu'au cinéma elle me dise oui. Mais il n'en fut rien, et le soir j'étais encore plus déçu.
Le 14 mai 1996, je me suis tordu le pied au basket. Je me souviens parfaitement de la date, car ce jour-là cela faisait trois ans que mon grand-père paternel était décédé. J'ai eu le pied dans le plâtre et elle faisait tout pour m'aider. Elle portait mon cartable tout le temps, car il me gênait dans mes déplacements. Elle vint chez moi le mercredi suivant, et on discuta comme larrons en foire. Même si elle ne ressentait pas la même chose que moi, l'amitié qu'on avait était très forte.
Le lendemain, mes parents partaient en voyage à Venise et ce fut une chef guide de M. qui vint nous garder, mes sœurs et moi. Le samedi, Marc vint à la maison et on taffa comme des porcs. Mais, j'étais de plus en plus malheureux, plus le temps passait, plus j'essayais d'oublier, plus je m'enfonçais. Je n'arrêtais pas de me lamenter sur mon sort et je devenais de plus en plus minable. Je ne cherchais même plus à aspirer au bonheur. Je n'avais plus d'espoir en rien, plus aucun port d'attache à ce monde. L'idée de me suicider devenait de plus en plus grosse, de plus en plus fréquente et se transformait en désir. Si j'avais eu un flingue, je ne serais certainement plus de ce monde. Je ne savais me confier à personne. Personne n'aurait compris : personne ne me comprenait déjà en temps normal. Le trou s'élargissait de jour en jour, de minute en minute, de seconde en seconde.
Le 3 juin 1996, j'en avais réellement marre de toutes ces histoires et je me dis qu'il fallait en finir avec tous les doutes que j'avais en moi. J'écrivis une lettre à M. lui faisant du chantage et faisant assez mal. Précédemment elle avait écrit sur sa montre une inscription : « I love you G ??? » Je lui redemandai dans ma lettre sa réponse, je lui disais que j'allais changer d'école, que j'allais arrêter les scouts pour ne plus la voir parce que ça me faisait trop mal. Ce fut ma première grosse connerie inconsciente.
Quand j'ai eu sa réponse, mon cœur se déchira encore plus, je fis le 4 juin, ma première tentative de suicide de l'époque M. Je l'ai ratée, heureusement pour moi. Quelques jours plus tard, ma mère vint me parler. Elle avait lu la lettre de M., qui traînait par terre. Nous avons parlé d'elle pendant environ un quart d'heure, et le soir même je lui ai tapé une lettre d'excuses. (La première) Le temps passait, toujours le même. Je réussis bien mes examens, ayant vu la matière cette année-là une seconde fois, et je suis passé en quatrième sans trop me fouler.
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Salut, moi c'est Greg [édité chez Atramenta]
Non-FictionEst-ce que cette histoire vaut la peine d'être racontée ? Honnêtement, je n'en sais rien. Pendant des années, je pensais que ce que j'avais traversé faisait de moi quelqu'un d'extraordinaire, d'avoir une histoire hors du commun et qu'il fallait que...