Épilogue (2)

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Il m'arriva d'éviter plusieurs fois l'envoi de téléphones dans la tronche, car les clients furax, ne comprenaient pas pourquoi leur appareil tombé dans l'eau était irréparable.

Je repris en 2008 des cours du soir. Je rêvais secrètement de monter ma boîte. J'adorais faire des sites internet. Je voulais en faire mon métier, même si j'avais encore beaucoup de choses à apprendre. Comme j'étais sans diplôme, j'étudiai la gestion, pour pouvoir monter entreprise. Ces cours duraient six mois, à raison de trois soirs par semaine. Ce ne fut pas facile, de conjuguer avec le boulot, mais je réussis la formation avec brio.

Au bout de quelques années, elles réapparurent. Les nausées matinales, les douleurs incessantes. Elles durèrent pas mal de temps, mais je laissais courir, et tout devenait plus dur. Ma relation avec ma douce et tendre compagne devenait également invivable. On se parlait à peine. J'envoyai tout valser en juin 2009. Je fis une replongée fantastique dans l'univers des crises d'angoisse. Je fus de nouveaux sous traitement, avalant Temesta sur Temesta. Je chassai ma compagne de la maison.

Malgré toute cette spirale, j'essayais de tout faire pour rester positif : pour moi, ce n'était qu'une mauvaise passe. Je devais virer tout ce qui me faisait du mal pour aller de l'avant. Cela incluait ma relation avec ma compagne, mon travail, et réfléchir à ce que j'allais faire pour vivre plus sereinement. Cependant, début septembre, le drame atteignit son paroxysme.

En arrivant au travail, je regardai par hasard mon fil Facebook sur mon téléphone. Et je vis des messages, un nombre incalculable de messages sur le mur d'Aurélia. Des mots de tristesse, des questions, des coups de colère. Elle était partie, elle avait mis fin à ces jours. Bien que je n'avais plus énormément de nouvelles d'elle, cette annonce me dévasta. Alors que j'essayais de rester positif, de trouver un sens pour me battre et remonter, le fait d'apprendre son départ ruina en quelques minutes tous mes efforts.

Je m'en voulus énormément. Deux bonnes semaines avant, j'avais écrit à toutes ces personnes qui avaient beaucoup compté pour moi, qui m'avaient soutenu à un moment, ou partagé mes souffrances. J'expliquai ce qui se passait en moi, que je ferais tout pour me battre et m'en sortir. J'avais envoyé cette lettre à Aurélia. Même encore maintenant, je me sens responsable, même si je sais que des graves événements se sont produits dans sa vie. Mais cette pensée m'obsède, j'y pense souvent. Est-ce qu'elle serait encore là si je ne lui avais pas envoyé ce courrier ? Je pense que je n'aurais jamais de réponse à cette question.

Suite à cette nouvelle, je n'arrivais plus à rester positif, un gouffre s'était de nouveau ouvert sous moi, et je plongeai dedans, sans regarder si la moindre chose pouvait me retenir. Je commençai à planifier. Un lundi matin, je rencontrai ma mère. Je lui donnai les clés de mon appartement, prétextant, comme ma compagne ne vivait plus avec moi, qu'il fallait que j'aie un backup si je perdais mes clés. Mais je savais ce que je comptais faire au soir. Cette nuit-là, j'écrivis une lettre annonçant mon départ. Je l'envoyai par mail vers minuit, pensant que personne ne verrait ce message avant le lendemain. Je me mis rassembler tous les médicaments que je pouvais, et commençai à les ingurgiter. Le téléphone sonna pendant qu'ils se mirent à faire effet. C'était un ami d'internet qui essayait tant bien que mal de me joindre. Au bout de plusieurs essais, je décrochai. Il réussit à me calmer, me fit aller chez ma voisine de palier qui appela l'ambulance. Je me rappelle juste être monté dans celle-ci, n'ayant plus aucun souvenir de la suite des événements.

Lorsque je me réveillai, j'étais aux soins intensifs, et un policier était là, à attendre. Il me posa quelques questions pour confirmer mon identité et s'en alla. Ma mère avait appelé la police, elle n'arrivait pas à me joindre, et je n'étais pas chez moi. Mes parents arrivèrent peu de temps après, mais impossible de sortir, bien que les infirmières confirmèrent que j'étais en état physique de le faire. Il fallait attendre la visite d'un psy qui déciderait si on me gardait ou pas. Il était hors de question, pour moi, de retourner à nouveau en unité psychiatrique. Pour moi, mes hospitalisations n'avaient servi à rien, je m'en étais nettement mieux sorti par moi-même, et je ne voulais pas rester enfermé, gavé de médocs plutôt que d'avoir quelqu'un à qui parler. Je ne voulais pas me retrouver de nouveau avec des personnes qui ne faisaient que partager des expériences difficiles ou morbides, ou des personnes ayant des troubles plus sévères. J'avais déjà donné, cela n'avait rien arrangé.

Lorsque je vis arriver ce psy, je commençai à désespérer. C'était vraiment le stéréotype du psy « savant fou », les cheveux en batailles, un mélange de coupe à la Jackson Five et à la Einstein. Mais je discutai pas mal avec lui, racontant que je reprendrais contact avec mon ancien psy, et que j'irai vivre quelques-temps chez ma mère. Je ne savais plus m'occuper de rien de toute façon, et il me faudrait en plus plusieurs jours pour récupérer de la dose massive de médicaments que j'avais absorbée. Avec l'assurance que je retournerai chez ma mère, il donna son accord pour que je quitte l'hôpital.

La première chose que je fis, en arrivant chez ma mère, fut d'allumer mon téléphone. Ma messagerie était pleine, et je fondis en larmes. Les messages de détresse de mes proches, qui avaient essayé de me contacter, me donnèrent une grosse claque. Je dus affronter tout le monde, les semaines qui suivirent, et ce ne fut pas facile : encaisser leur colère, que je comprends, leur tristesse et leur désarroi face à mon geste.

Je retournai donc vivre chez ma mère. Je ne pouvais plus rester seul dans cet appartement, à Bruxelles, et je n'arrivais plus de toute façon à faire front seul face à toutes les tâches quotidiennes. Je quittai mon travail, après une tentative de reprise de boulot qui ne dura que quelques jours. Je ne pouvais plus rester dans cette atmosphère, être pressé comme un citron. Mon départ se passa assez mal, la direction refusant de me donner un préavis, et comme je n'étais pas apte à négocier, pour qu'on en finisse au plus vite, j'eus un C4 médical. C'est comme cela maintenant, les grosses sociétés. Tu rapportes pas mal de fric, tu aides pour des gros contrats ou la compagnie se fait un max de blé, et le seul remerciement que tu en as c'est de finir le contrat sans même un merci ou une compensation.


Salut, moi c'est Greg [édité chez Atramenta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant