S'isoler mais en vouloir au monde
J'ai écouté beaucoup de gens qui étaient très mal dans leur peau. Que ce soit à l'hosto, où je vivais avec eux en permanence, mais aussi d'autres personnes de mon entourage proche ou un peu plus éloigné. Peut-être que mon vécu les encourage à se confier à moi plus facilement que quelqu'un d'autre.
Une de mes premières constatations, que ce soit de mon propre vécu ou d'autres personnes, est que, lorsqu'on est mal, on a tendance à s'isoler.
On a l'impression que le monde ne comprend pas, ne veut pas comprendre. Dans un sens, on ne peut pas donner tort à cette affirmation : souvent, on reçoit des conseils à deux balles (si j'étais toi...), voire des accusations comme quoi on fait la comédie, ou simplement des remarques du genre : « ressaisis-toi ! », « ne te laisse pas à aller, c'est facile... » C'est vrai que l'on n'a pas forcément envie d'entendre ce genre de choses. Ensuite, le regard des autres nous pèse également, que ce soit par du mépris, de la pitié, de la condescendance... c'est le genre d'actes ou paroles dont on n'a pas vraiment besoin, et qui au contraire renforce ce sentiment d'isolement.
Alors on s'enferme, on s'isole encore plus. C'est pourtant la dernière chose à faire dans ces cas-là. On ne veut plus sortir de chez soi, principalement à cause de ces paroles ou regards.
Et on en veut au monde entier. Parce que personne ne semble comprendre (j'insiste sur semble), on continue à se refermer sur soi-même et son mal-être. C'est un putain de cercle vicieux.
Au bout d'un certain temps, j'ai compris une chose. On peut recevoir tous les meilleurs conseils du monde, ils ne marcheront pas. Il est pourtant cependant important d'être entouré, mais pas pour recevoir des conseils qui de toute façon rentreront d'une oreille et ressortiront par l'autre. Si vous avez quelqu'un de votre entourage qui est vraiment mal, soyez-là pour lui. Soyez une oreille attentive et non qui prodigue des conseils du type « si j'étais à ta place, je ferais cela ». Écoutez, montrez que vous comprenez ou que vous faites tout ce que vous pouvez pour comprendre. Essayez de voir le point de vue de la personne en souffrance. Parce qu'en réalité, pour s'en sortir, la solution ne peut venir que d'une personne : soi-même. Tant qu'un certain déclic ne se fera pas à l'intérieur de soi, on restera dans ce gouffre, dans cette spirale. Il y a aussi une autre chose à savoir : la « guérison » ne se fera pas en un claquement de doigt. Cela prend du temps, c'est un énorme travail à faire sur soi. Il m'a fallu des années. Même encore maintenant, et j'imagine que vous le comprenez également en lisant ces lignes, certaines blessures sont encore trop fragiles et nécessitent un travail ou une acceptation.
L'attaque du tigre
- Mais qu'as-tu donc à tes bras ? Qu'est-ce qui s'est passé pour que tu aies de telles marques ?
- Tu sais, il y a bien longtemps, lorsque j'étais un grand baroudeur-aventurier, je me suis fait attaquer par un tigre !Cette réponse, à force d'être questionné par l'état de mes bras, est devenue machinale. Elle est automatique, et même sans y penser, je la ressors, Comment expliquer, à un jeune enfant, que durant bien des années, j'ai ressenti une immense souffrance au fond de moi, une douleur si horrible, que, la seule échappatoire qui nous semble possible, est de se faire mal pour tenter d'oublier la première ? Que, par plusieurs fois, ce gouffre de douleur, l'absence de lueur au bout du tunnel, fait que la seule solution possible semble être de terminer son existence sur cette planète ?
Bien des années après, j'ai encore énormément de mal de parler de ces expériences. Ici aussi, j'ai du mal à coucher tous ces sentiments. Même face à des adultes, quelqu'un qui a tenté de mettre fin à ses jours se heurte à un mur d'incompréhension et de colère. Je me suis fait traiter de lâche, de faible, et j'en passe. Mais je ne les blâme pas. J'ai compris leur douleur et leur colère.
Avec le suicide d'Aurélia, j'ai moi aussi été confronté à cette douleur, à cette colère et ce sentiment d'impuissance. Je m'en suis même voulu, car étant moi-même dans une situation difficile, j'avais écrit une lettre aux personnes qui m'avaient soutenu par le passé, disant que j'allais tout faire pour me relever, et qu'avec cela, moi, je n'avais pas été là si elle en avait eu besoin. Mais je ne l'ai pas blâmée pour son geste. Parce que je sais qu'à un moment, ce désespoir peut être si profond que le monde autour de nous n'existe plus. Que même le meilleur ami le plus fidèle n'arrivera pas à soulager et porter un peu de cette douleur.
Je ne sais pas comment expliquer ces expériences à des jeunes enfants. Trouver les bons mots, et, tout en expliquant ce qui est arrivé, pouvoir les rassurer. Le suicide, et les tentatives de suicide, provoquent une douleur telle à son entourage, que rien que le fait d'en parler cause tristesse et colère. Mais je n'ai pas honte des marques sur mon bras, et je ne les cache pas. C'est une partie de moi, une partie de mon vécu. Et même si ce furent des moments pénibles, cela m'a aidé à me forger.
J'ai rencontré des gens extraordinaires, j'ai pu partager une part de souffrance avec d'autres personnes ressentant des douleurs similaires. Je me suis rendu compte que l'être humain qui nous semble le plus froid peut dégager une intense chaleur humaine, qu'il possède cette chose magique en lui, qu'il peut montrer, contre toute attente, compassion et bonté. J'ai pu me rendre compte que la vie est un bien nettement plus précieux que ce que l'on pourrait penser, et cela m'a conforté dans une bonne partie de ma vision du monde : ce qui compte le plus, ce n'est pas la carrière, le salaire... C'est le bonheur que nous partageons avec nos proches, nos amis et ce que nous réalisons pour rendre ce monde meilleur.
Apprendre à pardonner et à demander pardon.
Apprendre à pardonner. Quoi qu'on dise, ce n'est pas aussi facile qu'on le pense. Pourtant, c'est extrêmement important. Si on garde tout cela en nous, on se met à vivre avec une rancœur qui nous ronge de l'intérieur. Et on ressasse, on repense à ces actes, ces événements qui nous ont démoli à un moment donné. De telles pensées ne nous apportent rien de bon, elles ne font qu'accentuer notre ressentiment.
Il m'a fallu énormément de temps pour pardonner. Je pense même que le plus important n'est pas de dire je te pardonne, mais bien de ressentir ce sentiment au fond de soi.
J'ai pardonné en 2003. Cette année-là, je me suis retrouvé à vivre seul plusieurs mois. J'ai beaucoup réfléchi pendant cette période. J'ai enlevé toute cette rancœur, cette colère envers les personnes qui m'avaient fait souffrir. Pour certains, j'ai viré ce sentiment de vengeance qui était tenace, qui me bouffait de l'intérieur (Par exemple, pour la personne qui avait fait de fausses déclarations à la gendarmerie).
J'avais écrit des lettres à la plupart des personnes à qui j'ai demandé pardon. J'expliquais que je m'étais rendu compte à quel point j'avais pu leur faire mal par mes actes. Je me rappelle ne pas les avoir toutes envoyées. Je ne sais plus qui les a reçues ou non, certaines lettres, j'avais simplement postposé leur envoi, et avec le temps je les ai égarées. Je me rappelle juste que Daphnée m'avait répondu. Que cette lettre lui avait fait beaucoup de bien. Aurélia, quant à elle, l'a reçu par internet lorsqu'on a repris timidement contact.
Enlever tout ce poids, toute cette rancœur m'a fait énormément de bien. Je pense que c'est un processus essentiel pour progresser dans la vie. Comme je le dis dans plusieurs points de ce chapitre, tous ces sentiments néfastes que l'on garde enfouis bien profondément en soi nous rongent de l'intérieur. Tous ces coups durs subis, même si on ne le remarque pas au premier regard, lorsqu'on est dans la mouise, nous grandissent. Ils nous aident à nous forger, à nous faire réfléchir sur la vie. Il faut juste s'en rendre compte, ce qui n'est pas forcément facile. Je dis donc merci à toutes ces personnes, même quand leurs actes étaient de la méchanceté gratuite. Parce qu'ils ont aidé à me fortifier, à me conforter dans mes idées.
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Salut, moi c'est Greg [édité chez Atramenta]
SaggisticaEst-ce que cette histoire vaut la peine d'être racontée ? Honnêtement, je n'en sais rien. Pendant des années, je pensais que ce que j'avais traversé faisait de moi quelqu'un d'extraordinaire, d'avoir une histoire hors du commun et qu'il fallait que...