Plongée dans les abîmes: une rechute et une rencontre

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Le lundi 13 octobre, je reçus le coup de grâce. C'était mon premier jour à l'école depuis l'accident de la semaine dernière. Je ne sais plus ce qui s'est dit à l'école sur ce qui s'est passé. La journée en elle-même s'était bien passée, mais le soir, alors que j'allais me mettre au lit, mon père qui se trouvait dans la cuisine avec ma mère, me demanda de m'asseoir, car il voulait me parler. Là, il m'annonça qu'il quittait le domicile conjugal, car il allait vivre avec une autre personne. Justement, la femme de l'entrepreneur, dont j'ai parlé précédemment. Alors là, je me suis mis à douter : et s'il parlait de sortie, de guitare, n'était-ce pas pour m'acheter ? Je n'ai toujours pas trouvé de réponse à cette question, on n'en parle pas, lui et moi1.

J'étais arrivé dans le fond du trou. Le trou noir du désespoir, de la rage, de la solitude. J'étais tellement marqué que je n'arrivais plus à dormir. La seule chose qui me restait, ma famille, se cassait en morceaux. Je n'en pouvais plus. J'avais besoin d'autres choses, de nouveaux moyens d'évasions. Le lendemain, cette maudite annonce, j'arrivais chez le seul dealer que je connaissais qui était dans l'école. Et je lui ai demandé l'herbe la plus forte qu'il pouvait me trouver en ce moment. Le lendemain, il m'apporta du très bon haschisch, et j'ai recommencé à fumer. J'étais trop heureux ! Ca me faisait tellement de bien ! Et grâce à cela, j'arrivais enfin à dormir. Je m'en foutais de tout, j'étais revenu dans une période super laxiste. Les points à l'école rechutaient, pourquoi étudier, cela ne servait à rien. De toute façon, on sera tous au chômage plus tard. Alors, pourquoi se fouler ? On me disait quelque chose, on me racontait quelque chose, je m'en foutais. Plus rien n'avait d'importance, pour moi. Tout ce que je voulais, c'était m'évader de ce monde pourri. Je n'avais pas envie d'aller à l'école, je n'allais pas à l'école. Je n'avais pas envie de bosser, de faire quelque chose, eh bien je ne faisais rien. Je voulais faire ça, et bien je faisais ça. Je faisais n' importe quoi, tout ce que je décidais et que pourtant avec des réflexions normales, on verrait que c'est idiot, stupide ou immoral. Toutes ces choses-là, tout ce que mon cerveau me dictait de faire, je le faisais.

Mais, il y a une chose dont je me suis rendu compte au fur et à mesure que le temps passait : je tombais amoureux de Isabelle, la copine de mon meilleur ami. Je savais que ça battait un peu de l'aile, et je me renseignais auprès d'Alex, avec doigté, pour ne pas éveiller les soupçons. Et chaque fois que je posais la question, chaque fois je voyais qu'ils étaient toujours ensemble. D'un côté, je m'en foutais, je sortais toujours avec Daphnée, mais je sentais mon amour pour Isabelle grandir en moi. J'étais encore plus malheureux, car je savais que je n'avais aucune chance. Lorsque les vacances de Toussaint arrivèrent, j'ai décidé de prendre un peu de recul et de m'enfuir à Clervaux pour quelques jours : il fallait que je réfléchisse à ma situation, aller dans un endroit calme pour me ressourcer, et pour regarder un peu mon passé, réfléchir à tout ce qui m'était arrivé ces derniers temps. J'ai décidé de faire sentir à Daphnée, que ça n'allait pas, j'essayais de réanimer la flamme, mais rien n y fit. Elle était toujours aussi vague lorsqu'elle exprimait ses sentiments et ne répondait pas du tout à mes questions. A Clervaux, j'ai discuté avec un moine, ami de mon grand-père et j'ai raconté un peu tout ce qui m'arrivait. Cela m'a fait beaucoup de bien. Je partais faire de longues promenades dans la nature, je voulais être seul, je voulais comprendre ce que je vivais. Ces promenades me faisaient grand bien, elles me fatiguaient physiquement, et le calme de la campagne environnante me relaxait un peu. Je me suis rendu compte à ce moment-là, que j'étais en train d'accepter que je perdrai ma bataille contre le désespoir, car personne ne pouvait m'aider, personne ne comprenait, car personne ne voulait comprendre. Chacun fermait ses yeux. Une sorte de nihilisme s'était emparé de moi, si on peut dire. Et je me retrouvais une fois de plus encore tout seul.

Fin novembre. Mon laxisme et mon désespoir sont à leur apogée. Ils vont gagner la guerre, et moi, je ne serai plus qu'un tas de poussières. J'étais sûr maintenant de mes sentiments que j'éprouve pour Isabelle, mais je ne l'avouais pas. Je devais me taire, car je ne voulais pas perdre mon meilleur ami, la seule personne qui me restait avec Gilles, mon frère cousin. Mais mon laxisme était à son apogée. Je savais qu'Isa et Alex, ça n'allait plus du tout, et que Isabelle en avait marre de cette relation. Elle commença à lire des poèmes que j'écrivais, mais elle ne disait rien. Un jour, elle m'a demandé pourquoi je ne lui faisais pas lire un tel poème, c'était en fait ma déclaration d'amour, et je n'osais pas lui donner. Alors, le temps de midi, on a discuté. Enfin, j'ai discuté, et je lui ai raconté toute ma vie. Toute celle que vous venez de lire. Eh bien, j'étais soulagé. Et lorsque nous sommes retournés en classe, je lui ai fait lire mon poème. Elle n'a rien dit au moment même, mais on avait projeté d'aller manger ensemble le lendemain.

Ce jour-ci arriva. Le matin même, avant d'aller au cours, je fumai mon dernier joint avant un long moment. C'était avec un copain et une fille. J'avais roulé ma spécialité, un de ces trois feuilles deux filtres qui promettait. Le problème, c'est que j'étais habitué à de l'herbe beaucoup plus forte, et ça ne me fit rien.

Le temps de midi arriva, c'était le fameux rendez-vous avec Isabelle. J'avais deux nouveaux poèmes, et ceux- là, je lui avais demandé de les analyser, parce que je n'étais pas sûr qu'elle ait compris ce que je voulais lui dire. Eh bien, après avoir fini de manger, elle me prit délicatement la main, on s'est regardés dans les yeux, et tout était parti. Tout, mes peurs, mes solitudes, ma douleur, mon mal - être, mon désespoir ! Un jour encore avant, personne n'imaginait cela. Le lendemain, je reçus une longue lettre d'elle, disant qu'elle ferait tout pour m'aider, pour oublier. Je ne pensais pas pouvoir sortir du trou noir, et pourtant, pendant quelques semaines, une main me maintenait au-dessus de lui. Mais seulement quelques semaines.


Partie achevée à Beauvechain, fin 1997 (légèrement retravaillée en 1998 puis 2015).


Salut, moi c'est Greg [édité chez Atramenta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant