Rentrée 1998

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Début septembre, me voilà à nouveau sur les bancs de classe. La plupart des personnes avec qui j'étais en première commençaient leurs études universitaires, et les autres étaient en Rhéto, hormis quelques rares qui avaient doublé. La rentrée ne se passa vraiment pas bien. Je me suis vite senti à nouveau mal, le temps de midi j'étais souvent seul, des rares fois avec les rhétos. Je passais la plupart de mes temps libres à la Brasserie du Commerce. Le patron de l'établissement était quelqu'un d'extraordinaire. J'ai un excellent souvenir de lui. Lorsque j'y allais avec ma famille, mes petites sœurs étaient traitées comme des reines. Je ne suivais plus des masses les cours, je n'y arrivais toujours pas. Mon laxisme reprenait le dessus.

Je ne me sentais à ma place nulle part. Je n'arrivais pas à me mêler aux autres élèves de ma classe. Avec ce que je venais de vivre, ma vision de la vie, mes préoccupations n'étaient plus du tout les mêmes que les autres élèves. Je trouvais beaucoup de leurs préoccupations gamines, superficielles. Et l'isolement, même si j'en suis le premier responsable, me fit beaucoup de mal. J'ai encore du mal à aller vers les autres, même en 2015. J'ai comme une gêne. Lorsque je dois présenter mes projets, mes écrits, je les minimise, ou je dis simplement que c'est mauvais. Mais je me soigne, comme le dit si bien l'expression, même si je manque souvent de répondant, dans les conversations, cela va nettement mieux. Un avantage, aussi, est que comme je parle moins, j'écoute beaucoup. Il me faut parfois digérer ce que j'entends, lorsqu'on parle d'informations, mais on me dit souvent que j'ai une oreille attentive. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

Mes blessures n'avaient pas cicatrisé. Revoir certaines personnes, surtout M., mais aussi Isabelle, m'était extrêmement douloureux. Chaque fois que je revoyais M., mes sentiments passés me revenaient en pleine poire le temps d'un instant. Et je n'arrivais plus à lui parler. On discutait, mais plus rien n'était comme avant. Je ne pouvais plus me confier à elle, lui dire ce que je ressentais. Ce n'était plus une amie, elle était devenue une simple copine, et cela me faisait mal.

L'ambiance à la maison n'était pas au beau fixe non plus. En plus de devoir gérer la dépression et l'anxiété de son fils, ma mère devait gérer le combat du divorce, et s'occuper de mes deux petites sœurs encore en maternelle.

L'attitude de mon père me répugnait. Il dénigrait ma mère, mon grand-père. Par moment, il ne payait pas les pensions alimentaires, voulant à tout prix se lancer dans des affaires que je trouvais irréfléchies1. Je voulais savoir ce qui se passait. Ma mère me fit lire les déclarations et témoignages dans le dossier du divorce. J'étais révolté. On traînait ma mère dans la boue, que ce soit mon père ou mes oncles et tantes, avec des tissus de conneries et mensonges. Ils disaient que ma mère ne s'occupait jamais de moi, ce qui était totalement faux ! Mon père n'était jamais à la maison, et lorsqu'il y était ne pensait qu'à son propre bien être, sans s'occuper de nous (ou alors pour me gueuler dessus).

Je décidai alors de témoigner, de rétablir la vérité et d'expliquer mon vécu et ce que je ressentais. La réponse ne se fit pas attendre : j'étais manipulé, on m'avait demandé de répondre de cette manière, et j'en passe. Pourtant, c'était bien ma propre initiative. Je trouvais totalement injuste toute cette histoire, cela me mettait hors de moi.

La cocotte minute qu'était Greg était à nouveau sur le point d'exploser. Malgré tous les médocs, le Temesta pris constamment et les neuroleptiques du soir, mes crises d'angoisse commençaient à reprendre le dessus. Je recommençais à ne plus tenir sur ma chaise en classe. C'était impossible de rester assis des heures à écouter le professeur ou me concentrer.

Le soir, dans cette grande chambre à l'écart de toute la maison, je me sentais seul et vraiment mal. Mon cutter n'avait pas disparu, il était toujours là avec des traces de vieux sang séché sur la lame. Je recommençai à me tailler les bras. Je pensais beaucoup à M. Mes sentiments revenaient, par moment. Un soir je me suis taillé un M. Sur mon avant-bras droit. Je le masquais avec une ligne en plus, pensant naïvement que ce ne serait pas flagrant.

La situation ne pouvait plus durer, et mon psy me fit reprendre contact avec la Ramée. Seulement, le docteur Schaffer n'y travaillait plus. Ce serait un autre médecin qui s'occuperait de moi durant l'hospitalisation. L'entrée fut planifiée pour le 18 octobre. Entre temps, je ne savais plus rester à l'école. Je restais de nouveau à la maison.

Il y a cependant quelques événements à souligner avant de rentrer à l'hôpital. Un jour, M et moi allâmes prendre un verre pendant qu'elle n'avait pas cours. Ce fut notre dernière longue conversation avant un bon moment. Elle vit la marque sur mon bras. Elle ne dit rien, mais je voyais bien qu'elle avait compris. Pourtant, je ne lui parlais pas des sentiments que je croyais avoir pour elle à ce moment-là.

Quelques jours avant de rentrer à l'hôpital, je reçus un coup de fil. C'était Aurélia, en pleurs. Alexis, son frère, venait de décéder. Il était en traitement pour se soigner, son corps n'avait pas supporté. Cette annonce me fit comme un gros coup de massue. J'étais complètement sonné, je n'arrivais pas à trouver les mots pour la réconforter. En plus, il était tard, il m'aurait été impossible d'aller jusque Bruxelles pour la soutenir. Elle voulait que je vienne à l'enterrement. Malheureusement, celui-ci était planifié pour le jour où je devais rentrer à l'hôpital. On tenta de négocier avec le médecin, pour que je puisse d'abord aller à la cérémonie, refus catégorique de sa part. Je venais à l'heure prévue ou je ne venais pas du tout. Je n'avais pas le choix. Je m'en suis voulu pendant des mois, car après cela, j'ai totalement perdu le contact avec Aurélia. Je m'en veux encore maintenant. Si seulement j'avais été là, je me demande si bien des choses ne se seraient pas passées différemment2.

Quelques jours ou la veille de mon hospitalisation, je ne saurais plus dire, les souvenirs sont devenus flous plus de quinze ans après ces événements, ma mère m'emmena à la Brasserie du Commerce. Valentino nous demanda ce que nous prenions comme apéro. Je demandai une vodka orange. Valentino, toujours prévenant, me dit que je n'avais pas dix-huit ans. Ma mère insista pourtant, disant qu'elle était avec moi. Elle dit d'emblée que je rentrais à l'hôpital, qu'on ne savait pas quand je sortirais. Je me rappelle encore sa réponse : « Raison de plus pour que je ne te la serve pas !, mais quand tu auras ta majorité, ton verre t'attendra ». J'étais estomaqué. Quand on partit, il me prit dans ses bras, me souhaita bonne chance.


Salut, moi c'est Greg [édité chez Atramenta]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant