Chapitre 3 - Marius

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JE PRENDS PLACE SUR une chaise du fond

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JE PRENDS PLACE SUR une chaise du fond. Monsieur Jean, un des psychologues du Centre, continue d'installer quelques chaises devant la petite estrade. Cette fois-ci, quand je tourne la tête vers la grande baie vitrée, mes pensées se tournent instinctivement vers la fille de tout à l'heure. À ses longs cheveux couleur miel, sa peau blanche, ses beaux yeux verts-gris et son nez légèrement tordu vers la droite.

Quand Monsieur Jean tapote son micro, un gros bruit crispant résonne dans toute la pièce. Tout le monde semble réuni dans la salle, sauf la chaise à ma droite qui reste vide. Ava, la folle de la chambre voisine, est juste devant moi, et discute en rigolant bruyamment avec un brun en polo trop serré.

Lorsque le psychologue s'apprête à prendre la parole, les portes battantes de la pièce s'ouvre dans un gros grincement. C'est la fille de toute à l'heure. Elle parcourt rapidement la salle des yeux pour y trouver une place, et triture ses doigts, sûrement mal à l'aise à cause de tous ces regards braqués sur elle. Quand ses yeux verts-gris se posent sur la chaise à côté de moi, son visage blanc porcelaine devient instantanément rouge écarlate.

Je détourne rapidement le regard pour ne pas qu'elle puisse croire que je m'intéresse à elle. Les petites bourges de son style, c'est vraiment pas pour moi. Je regarde les feuilles des arbres s'agiter lentement au gré du vent, et la neige éternelle logée dans les creux des montagnes. Quand la blonde s'asseoit à côté de moi, son parfum légèrement citronné me rappelle la senteur des citronniers du parc de chez moi. C'était une des rares choses jolies où je n'étouffais pas entre les tours de la cité.

Il y avait Monsieur Diop qui aimait se promener avec son horrible bâtard sans poils, Madame Benali qui s'asseyait sur le banc de l'espace enfants pour y surveiller son petit Youssef adoré, et un tas d'autres gens qui me rappellent que je ne suis plus chez moi, mais dans cet Institut qui se donne bonne conscience en offrant une place à un gars comme moi.

Ava se retourne pour faire face à la fille.

- T'étais où ? Souffle-t-elle en passant une main dans ses cheveux courts.

Elle me lance un discret coup d'œil avant de lui répondre:

- J'arrivais pas à fermer la porte.

Sa voix est douce, légèrement cassée. Elle est comme ses yeux: éteinte.

Ava se retourne sur sa chaise, et Monsieur Jean commence son discours sur la volonté de vivre, et je l'écoute distraitement raconter son combat contre le cancer une centième fois.

- Mais aujourd'hui, nous accueillons une nouvelle camarade parmi nous. Je vous propose de tous vous présenter, et de ne pas oublier de dire le pourquoi vous êtes ici. Termine Monsieur Jean en dirigeant son regard vers la fille assise à mes côtés.

Tout le monde se lève de sa chaise pour les rassembler en un seul cercle, et je fais pareil - pour éviter de passer pour un con - de sorte à ce qu'à la fin, la blonde soit entourée de tous ces adolescents suicidaires. Une première fille rousse, aux bras et aux jambes en patchwork, se lève et salue la nouvelle.

- Je m'appelle Olivia. Je suis arrivée il y a maintenant deux mois au Centre après un incendie qui m'a brûlée presque tout le corps.

Après elle, tous les autres se relaye la tâche de se présenter, certains, les larmes aux yeux, d'autres, un grand sourire collé sur le visage. Ava, elle, refuse de dire pourquoi elle est ici, se trémoussant dans son fauteuil roulant, mal à l'aise. Quand c'est à mon tour de me présenter, je ne prends même pas la peine de me lever. Au contraire, je m'affale un peu plus dans ma chaise.

- Marius Kombo. Ici parce que j'ai pas vraiment eu le choix. Je dis simplement en prenant un air détaché.

Un silence suit mes paroles. Je sais que ma réponse ne correspond pas aux attentes du Centre, que j'aurais dû mentir en laissant entendre que je suis sur le chemin de la résilience et de la paix. Je sens la nouvelle bouger à côté de moi. Je tourne légèrement la tête dans sa direction, et la surprends en train de sourire légèrement, son menton collé sur sa poitrine.

Elle se lève peu après, en se triturant les doigts.

- Je m'appelle Armelle et je suis ici parce que... parce que...

La nouvelle se stoppe soudain, comme si ses mots restaient bloqués dans sa gorge et refusaient de sortir. Les autres personnes présentes dans la salle la fixe tous avec un regard insistant. Savoir pourquoi les gens arrivent au Centre, ce sont les seules choses intéressantes qui arrivent à traverser les murs blancs sans vie d'ici. Un peu de couleur sur une toile vierge.

La nouvelle - Armelle - est presque au bord du malaise. C'est quasiment toujours la même réaction, la première fois. On se dit que ça va, c'est juste quelques mots et que les gens passeront à autre chose, qu'on est pas forcément obligés de tout dire dans les moindres détails. Mais quand on est entourés de tous ces adolescents qui ont presque tous vaincu ça - les pensées sombres, la tentative de suicide et tout - ça fout les jetons. Plus que quand la police arrive dans les ruelles pour un "contrôle", qui finit presque systématiquement par des coups de feu.

Armelle finit par quitter la salle en courant, laissant derrière elle des murmures curieux, moqueurs, ou les deux. La rousse au corps brûlé pouffe discrètement avec le brun en polo trop serré, et Ava essaye de passer entre les chaises avec son fauteuil, qui se coinçe bientôt entre deux jumeaux. Parce que c'est vrai, quoi, une fille aux pointes rouges délavées, un trou de piercing sur la narine et dans un fauteuil couvert de stickers dans un Institut de bourges, c'est un peu étrange.

Elle foudroit du regard l'un des jumeaux, avant de s'énerver quand celui-ci continue de la regarder sans rien faire.

- Mais bouge ! Tu vois pas que tu me gênes bouffon ?!

Les deux bruns se décalent brusquement, comme frappés par la foudre, et Ava, satisfaite, continue son chemin vers la porte d'entrée. Monsieur Jean, qui l'a entendue, la sermonne depuis son estrade:

- Nous sommes censés se parler dans la paix et le resp...

Mais Ava lui répond par un doigt d'honneur bien affirmé, et sort de la pièce, sous les regards choqués et amusés des autres. Je choisi ce moment pour me lever de ma chaise, et partir d'un pas rapide de la salle. Monsieur Jean essaye temps bien que mal de rammener le calme dans la pièce en tapotant timidement sur son micro et en se raclant la gorge, mais quand des ados déchaînés commencent à s'amuser, c'est la fin.

Quand je sors enfin, le brouhaha d'à côté s'éteint brusquement. Le calme ambiant du hall - plus grand que mon appartement entier - me fait du bien. Ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion de me sauver d'une thérapie de discussion. Cela fait seulement une semaine et demie que je suis là, et j'ai déjà envie de retourner chez moi. Retrouver les câlins rassurants de ma mère, les chamailleries de mes sœurs et mes amis du quartier. Ici, ce n'est pas chez moi. Ça ne l'est pour personne. Juste des murs blancs et des gens qui viennent travailler le jour, pour retrouver leur famille le soir.

Parce que c'est comme ça, au Centre des miraculés. On vient ici quelques mois pour retrouver le chemin de la rédemption, et le lendemain, on replonge dans le chagrin et la colère quand la vraie vie nous revient en pleine face.

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant