Chapitre 5 - Armelle

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AVA S'EST ENFIN ENDORMIE après une intense soirée rythmée par les pleures et les miettes de cookie tombant sur le sol de la chambre

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AVA S'EST ENFIN ENDORMIE après une intense soirée rythmée par les pleures et les miettes de cookie tombant sur le sol de la chambre. Depuis deux heures, je me tourne et me retourne dans mon lit sans arriver à trouver le sommeil. Cette chambre a beau être toute petite, elle m'angoisse au plus haut point. Les murs de toutes les couleurs de ma chambre de Paris sont remplacées par une peinture blanche, les affiches de mes chanteurs préférés ont disparu, et le bruit familier des moteurs qui vrombissent et des klaxons ont laissé place à un silence plombant. Le bruit des pas de l'équipe des surveillants de nuit s'éloignent de ma chambre et c'est à ce moment là que je décide de me faufiler dans le couloir en enfilant au passage un pull en laine.

Quand je suis sûre que le surveillant s'est suffisamment éloigné pour ne pas me remarquer, je file dans les escaliers en effleurant à peine les marches. Avant qu'Ava ne s'endorme, elle m'a parlé d'un accès au toit pour le coin fumeurs des surveillants et des psychologues, et je me suis mis en tête d'y aller coûte que coûte pour me rappeller un peu chez moi. Les longues nuits que je passais sur le toit de mon immeuble, à regarder mes cigarettes se consumer jusqu'à m'en brûler les doigts, à pleurer, à penser, à rêver.

Les cuisines sont plongées dans le noir. Après quelques secondes à tâtonner sur tous les murs à la recherche de l'interrupteur, je le trouve enfin derrière un grille-pain, et l'allume. Je prends bien soin de refermer la porte derrière moi, et entreprends de chercher la clé qui ouvre la porte de l'accès au toit. Ava m'a parlée d'un petit vase blanc posé sur une étagère en hauteur. Après avoir balayé du regard toute la pièce, mes yeux s'arrêtent presque instantanément sur une petite planche en bois accrochée au-dessus de boîtes de conserve - vides pour la plupart.

Je me hisse sur la pointe des pieds pour attraper le vase, et plonge ma main dedans. Mes doigts effleurent un petit objet froid, et je renverse le vase, de sorte à ce que la petite clé glisse et tombe dans le creux de ma main. Je l'insère dans la serrure de la porte près des frigos, et, quand celle-ci s'ouvre en grinçant, j'éteins la lumière des cuisines. Je glisse la clé dans la poche arrière de mon jean, et monte les escaliers en colimaçon.

Quand j'arrive en haut, l'atmosphère étouffante de l'Institut disparaît aussitôt pour laisser place à l'odeur de la liberté. Une douce brise d'hiver s'infiltre dans mes cheveux et soulève quelques une de mes mèches blondes. Je ferme les yeux quelques instants pour essayer de me remémorer Paris, mon chez-moi, mais je suis vite interrompue par une voix rauque.

- Qu'est-ce que tu fais ici ?

La voix n'est pas agressive, mais j'y décele une pointe de jalousie. Je rouvre les yeux, et tombe nez à nez avec le garçon de la chambre d'à côté, Marius.

- Je pourrais te poser la même question, mais en fait, je m'en fous un peu.

Il cligne des yeux, sûrement un peu surpris par ma réponse.

- Mais la question que j'aimerais te poser, c'est comment tu es arrivé ici ? La clé était dans le vase. Je lui demande, surprise.

Il fouille dans la poche avant de son jogging gris, et en ressort la même clé que la mienne.

- Il ont un double dans les placards du haut. M'explique-t-il me agitant la petite clé devant lui, un petit rictus sur son visage.

Je lui rends son petit sourire, avant d'aller m'asseoir près de lui. Marius s'est de nouveau assit sur le rebord du toit. Quand je l'imite, l'adrénaline de la chute me prend instinctivement à la gorge, et je ne suis plus à l'Institut. Seul Marius est là, à côté, et regarde les étoiles qui se reflètent dans le lac cristallin.

- Au fait, pourquoi tu es ici ? Me demande-t-il, tout en continuant de fixer les astres brillants.

Mon cœur se serre dans ma poitrine, et je tourne la tête pour regarder son profil.

- Si je te disais que je suis là parce que je suis brisée, ça te suffit ?

Il sourit légèrement.

- On est tous brisés, ici.

Je replis mes jambes contre ma poitrine, et pose mon menton dessus.

- J'ai fais une tentative de suicide.

Je m'étonne moi-même de l'avoir dit sans effort à un garçon que je ne connais même pas. Mais il a une aura plutôt rassurante.

- Et toi ? Je continue, tapotant le béton du rebord du toit avec mes ongles.

- Je n'arrivais plus à voir la déception dans les yeux de ma mère. Voir toute la peine du monde dans le regard de la femme que tu aimes le plus au monde, ça fait mal.

J'ai un léger pincement au cœur. Savoir qu'une mère peut aimer à ce point son enfant me fout en rogne.

- Dit, t'as pas une clope par hasard ? Je lui demande en dépliant mes jambes.

- Tu fumes toi ? Ricane-t-il, secouant la tête vers le bas.

Je lui donne un léger coup de poing dans le bras, en rigolant.

- Bah quoi ? T'as pas l'habitude de voir une p'tite bourge fumer ? Je déclare, pince-sans-rire.

Marius sourit, ses dents blanches contrastants avec sa peau ébène.

- J'essaye d'arrêter depuis que je suis ici.

Il est tout d'un coup devenu plus sérieux, comme si évoquer le sujet des cigarettes l'avait tout d'un coup fait revenir à la réalité. Marius se lève, enfonce ses mains dans les poches de son jogging, et donne un coup de pied rageur dans le vent. Il se fige quelques instants pour regarder une dernière fois le grand lac où la lune déformée par les petites vaguelettes se reflète, et se frotte le visage de ses deux grandes mains. Je n'avais pas remarquer à quel point il était grand.

- Bonne nuit, la bourge. Ça m'a fait plaisir de te parler un peu.

Et sans que je puisse répondre quoique se soit, il a déjà disparu, laissant derrière lui des effluves de sueur et de parfum. Et je reste planté là, assise sur le rebord en béton du bâtiment, un sourire collé aux bords des lèvres.

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