Les Miraculés

Chapitre 6 - Armelle

MADAME AUBRY, la directrice du Centre, a absolument tenu à ce que les patients de l'Institut continue un minimum à suivre des cours de biologie en organisant des ballades "curatives" dans la forêt, tout en apprenant le nom de chaque plante et arbre de la faune et la flore des montagnes avec une ancienne professeure de SVT reconvertie en psychologue.

Ava se fait pousser par Armand Pichon, l'infirmier blond qu'elle trouve "trop canon", dans un fauteuil roulant tout terrain. Elle râle de ne pas avoir pû mettre ses Doc Martens violettes, et qu'à la place, elle se retrouve avec de vieilles chaussures de randonnée moisies qui ne sont pas du tout assorties avec son pantalon à motifs multicolores.

Armand s'exclaffe à chacune de ses phrases, et chaque fois qu'il fait ça, je lève les yeux au ciel.

Madame Richard, l'ancienne professeure de SVT, s'épuise à nommer toutes sortes de fleurs des montagnes à des adolescents qui s'en fichent totalement, à l'exception d'une brune à lunettes et de son acolyte. Quand celle-ci est en train d'expliquer que la Centaurée des montagnes est une fleur aux vertus médicinales et qui est comestible, je ralentis le pas pour arriver à la hauteur de Marius. Celui-ci continue de marcher sans m'accorder la moindre attention, les mains enfoncées dans les poches du même jogging de la veille. C'est bien un mec, celui-là. Pas de doute.

- On est pas potes tu sais ? Alors arrête de me regarder avec cet air de chien battu. Me dit-il enfin, sans pour autant prendre la peine de me regarder.

- Je suis coincée ici pour une durée indéterminée. Comme toi, en fait. Alors autant sympathiser un peu, non ? Je réponds, refermant ma doudoune quand un vent froid s'infiltre dans mes vêtements, me donnant la chair de poule.

Il hausse un sourcil, et l'ombre sourire apparaît sur son visage fatigué.

- Je comptes bien me barrer loin d'ici dès que l'occasion se présentera. Alors non, j'ai pas vraiment envie de sympathiser avec une bourge, tu vois.

Il shoote dans un caillou avec son pied droit, et accélère le pas. D'habitude, je n'aurais pas insister. Je n'aurais d'ailleurs même pas fait le premier pas. Mais Marius a quelque chose d'attirant que les autres n'ont pas. Peut-être l'interdit ? Mes parents feraient un infarctus en voyant que je traîne avec un garçon aussi peu fréquentable. Même si je pense sincèrement que ça aurait était directement lié à sa couleur de peau, un peu trop sombre aux yeux de ma mère. Mais c'est con de s'arrêter juste à la couleur de peau de quelqu'un, non ? Comme si c'était la seule chose qui résumait en quelques secondes la personne.

- Dis. T'es toujours de mauvaise humeur comme ça ? Je lui demande, une pointe d'humour dans la voix.

- Et toi, t'es toujours aussi chiante ? Rétorque-t-il.

Je soupire. Peut-être qu'il n'est pas si différent des autres, finalement. Ava est toujours en train de flirter avec l'infirmier blond, donc impossible d'avoir la moindre conversation avec elle.

- Tu viens d'où, au fait ? Je le questionne, en espérant lui arracher quelques mots.

Les yeux de Marius s'assombrissent encore plus qu'ils ne l'étaient déjà. On dirait qu'il est encore plus fatigué, quand ses traits se creusent.

- Désolé si j'ai touché un point sensible. J'ai juste...

Je tape dans une grosse branche qui se trouve sur mon chemin avant de reprendre.

- J'ai juste pas l'habitude de parler avec des gens.

Marius a un sourire amer, qui, d'ailleurs, ressemble bien plus à une grimace qu'à un véritable sourire.

- À La Courneuve. Dans une cité qui craint pas mal. Mais on a pas vraiment le choix de vivre là-bas. On est pris au piège, et c'est une galère sans nom de s'en sortir.

Je n'arrive pas à trouver de réponse correcte, alors je me tais, et l'observe discrètement du coin de l'œil. Sous ses traits fatigués et creusés, Marius est vraiment beau. Des lèvres pulpeuses, de beaux yeux noirs de jais, un large nez légèrement bossu et des cheveux crépus décoiffés.

Madame Richard établit l'endroit du pique-nique sous de grands sapins. Tout le monde se voit attribuer une tâche. Ava et Armand sont chargés de distribuer les sandwichs sans viande aux quelques végétariens, et Marius et moi s'attelont à l'étalage des grandes nappes sur l'herbe couverte d'épines. Avec ses grandes mains, Marius peine à déplier les nappes, et je dois l'aider à plusieurs reprises avant d'arriver à toutes les placer côte à côte, de sorte à ce qu'elles forment toutes un grand carré de patchworks multicolores sur le sol brunâtre.

Finalement, Armand est forcé de se séparer d'Ava pour aller faire un compte rendu de la matinée avec Madame Richard. Marius aide Ava à s'assoir sur une nappe en la portant pour l'y déposer. Quand tout le monde est enfin installé, Ava se colle à moi.

- J'ai l'impression qu'Armand m'aime bien. Me dit-elle, ses yeux pétillants d'excitation.

- Je te rappelles qu'il est majeur, Ava. Tu devrais quand même faire gaffe.

- Tu peux être d'un pessimisme parfois ! On n'a que quatre ans de différence, je te rappelle.

Je soupire bruyamment, sachant pertinemment qu'insister avec Ava ne changerait rien. Ce serait comme parler à un mur. J'ai beau ne la connaître que depuis deux jours, c'est comme si nous étions de vieilles amies d'enfance. Il faut croire que partager une chambre avec quelqu'un augmente drastiquement mes chances d'avoir des relations humaines.

Je croque dans mon sandwich au thon. Ava grimace quand elle goûte au sien, un sandwich au tofu.

- Des fois, il m'arrive de regretter d'être végétarienne. Surtout depuis que je suis à l'Institut. Les cuisiniers d'ici sont vraiment nuls en matière de nourriture végé. Il est vraiment immonde ce truc.

J'éclate de rire, et, bientôt, Ava me rejoint. Et même si depuis que je suis ici il m'arrive souvent de penser à mon chez-moi, savoir que je suis avec des gens qui m'acceptent tel que je suis, sans me regarder avec pitié ou dégout, me conforte à l'idée que, peut-être, la vie n'est pas aussi terrible qu'elle en à l'air.