Chapitre 14 - Armelle

3 3 0
                                    

ÇA FAIT DEUX SEMAINES qu'Ava est à l'hôpital

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou télécharger une autre image.

ÇA FAIT DEUX SEMAINES qu'Ava est à l'hôpital. Personne n'a vraiment voulu me dire ce qu'il c'est passé, ce jour-là. C'est simplement Marie, ma nouvelle spy, qui m'a expliquée qu'Ava avait fait une overdose d'antidépresseurs. Qu'elle avait fait une tentative de suicide.

Instinctivement, tout me revient en flashs. Ça m'explose à la figure. Ça me fait mal. J'avais voulu mettre fin à mes jours. Mais jamais je n'aurais pensé qu'Ava puisse le faire. Jamais.

Une boule de culpabilité se forme dans le creux de mon ventre, et remonte sinueusement le long de mon corps. Je me préoccupais tellement de mon propre mal-être que je n'ai pas été foutu de voir celui de mon amie. Derrière sa bonne humeur contagieuse et ses sourires solaires, la dépression la rongeait. Comme un mal qui s'infiltre dans les veines, et prend petit à petit de la place.

Pour une fois, il fait presque chaud. Depuis maintenant deux heures, j'erre sans but dans les jardins de l'Institut. Marius n'est toujours pas sorti. Lui aussi semble rongé par la culpabilité.

Je remonte l'allée de graviers, la tête couverte par un enchevêtrement de branches de vignes dénudées. Marie doit sûrement m'attendre pour la séance du matin. Malgré moi, je dois avouer que ce n'est pas un de ces psychologues qui ne disent rien, ou font semblant d'écouter, affalés dans leurs fauteuils en cuir, à prendre de fausses notes dans leurs carnets hors-de-prix.

Mais aujourd'hui, je n'ai aucune envie d'y aller, parce que je sais que, cette fois-ci, je ne pourrais pas me défiler. Il faut que je lui raconte ce qu'il c'est passé. Cette chose qui a détruit ma vie.

Quand j'arrive devant le grand bâtiment, j'inspire un grand coup, et monte les escaliers. La vieille dame de l'accueil me lance un sourire plein de pitié, une tasse fumante à la main. Pour une fois, je n'ai pas la force de le lui rendre. J'avance, tête baissée, en direction du bureau de Marie.

Je regarde l'horloge au-dessus de la porte. Je suis en retard de trente minutes. Les jambes engourdies, les mains tremblantes, je toque à la porte. La voix calme et apaisante de Marie me dit d'entrer. Je referme derrière moi. Elle ne me dit rien sur mon retard, à mon plus grand soulagement. La jeune femme m'apporte une tasse de chocolat chaud qui me brûle les doigts.

- Comment te sens-tu aujourd'hui, Armelle ? Tu n'as pas faits de cauchemars ? Me demande-t-elle, sortant d'un tiroir de son bureau un bloc-notes et un stylo.

Je fixe le lait chocolaté et les deux chamalows qui coulent lentement vers le fond, comme aspirés.

- Non.

Elle s'apprête à noter quelques choses, avant de poser son bloc-notes.

- Tu n'ais pas obliger de tout me raconter aujourd'hui, tu sais. Mais j'aimerais qu'on fasse un petit exercice ensemble, si ça ne te dérange pas.

Je hoche la tête. Je préfère toujours ça plutôt que de raconter un passage de ma vie que j'aimerais enfouir à jamais.

- Super. Elle sort des petits bouts de papier déchirés de derrière un cadre vide. J'aimerais que tu écrives sur ses papiers chaque mot, chaque pensée, qui te fait du mal.

Une boule se forme dans ma gorge, mais je ne me défile pas pour pourtant. Marie m'observe un instant, cherchant un signe qui lui dirait que je ne peux pas le faire. Mais je dois être assez convainquante, parce qu'elle me tend les bouts de papier et un stylo.

Quand j'attrape le stylo, j'essaye tant bien que mal de calmer les tremblements de mes mains.

J'attrape un premier papier, et laisse mes souvenirs me revenir en pleine face. Les regards moqueurs et  scrutateurs, les rires méchants, les gestes déplacés. Et puis les insultes. Des insultes qui font mal, qui décrivent une toute autre Armelle. Une fille que je ne connais pas. Une fille qui n'existe que de la bouche d'Adam.

Des larmes jaillissent toutes seules de mes yeux, qui ne tardent pas à me brûler. Mais je ne me défilerais pas. Plus jamais.

Sur le premier bout de papier, j'écris un premier mot: salope. Puis un deuxième : fille facile. Et le reste suit.

Marie me fixe en silence, n'osant dire un mot, de peur que je m'arrête brusquement. C'est la première fois que je m'ouvre autant à elle.

Les insultes fusent à la vitesse de la lumière. Me frappent de plein fouet. J'écris aussi vite que je peux pour essayer de n'oublier aucun mot. À chaque insulte, mon cœur s'allège un peu plus. Je n'avais jamais remarqué à quel point le poids des mots pouvait nous briser, nous faire tellement mal qu'à un moment, on encaisse tout, comme si c'était normal, comme s'ils faisaient entièrement partie de nous.

Le bois du bureau est trempé. Quelques petits papiers sont noyés par l'encre qui dégouline, alors je les réécrit à nouveau.

Quand j'ai enfin fini, je m'affale dans mon fauteuil, et essuis mes larmes avec la manche de mon pull. Marie ose enfin me parler:

- Est-ce que je peux les lire ?

Sa voix est douce. Je souffle un oui, à peine audible. La psy ne laisse transparaître aucune émotion. Son visage reste de marbre. À la fin, elle inscrit mon prénom sur une petite étiquette bleue, est la colle sur un tout petit bocal de verre, qu'elle remplit avec tous les petits papiers.

- Suis-moi. Me dit-elle en se levant de sa chaise, avant de se diriger vers la sortie, le bocal logé dans le creux de son bras.

Je fronce les sourcils, avant de la suivre. Dans les couloirs de l'Institut, le personnel et quelques pensionnaires saluent Marie avec le sourire. Ici, un sourire sincère, c'est assez rare.

Ma psy me conduit dans la cour intérieure du bâtiment, et pose le bocal au milieu. Elle me fait signe de venir, alors, le pas traînant, je la rejoins. Marie sort une boîte d'allumettes de sa poche, et me la tend.

- Dire au revoir à ces bouts de papier, c'est comme dire au revoir à ton passé. Alors si tu te sens de lui dire adieu, brûlent-les.

- Et en quoi brûler des papiers insignifiants va m'aider à dire salut à mon passé ? Je lui demande, cynique.

Un sourire apparait sur son visage.

- C'était une manière polie de dire va te faire foutre, passé à la con.

Je fais mine d'être choquée, et, sans réfléchir, je craque une allumette. Je laisse la flamme me lécher les doigts, et la jette dans le bocal.

- Adieu, Adam.

Et j'éclate de rire, bientôt suivis par Marie.

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant