Chapitre 7 - Marius

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MA CHAMBRE EST PLONGÉE dans le noir

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MA CHAMBRE EST PLONGÉE dans le noir. Je n'arrive pas à trouver le sommeil depuis cette nuit. Cette nuit où j'ai vraiment cru y passer, en me disant que, enfin, j'allais partir et arrêter de décevoir tout le monde.

L'Institut est silencieux. Trop silencieux. Les cordes de la guitare de l'appartement d'à côté me manquent. Les aboiements du chien du bâtiment voisin, les cris des enfants du dernier, la musique des fêtes dans le quartier, me manquent terriblement. J'avais beau détester toutes ces choses avant, je paierais cher pour les retrouver.

À travers la pénombre, j'observe mon sac en faux cuir, coincé sous l'étagère du lit d'à côté. La lumière de l'aube filtre doucement à travers les rideaux, mettant en évidence le bagage. C'est là-dedans que j'ai caché un tout petit sachet de cannabis. Au cas où.

Un vent frais vient m'effleurer la peau. On dirait que celui-ci me murmure mon prénom au creux de l'oreille. Je me redresse sur le lit. J'entends à nouveau mon prénom. Je me lève péniblement du lit, trop rapidement, et manque de me retrouver face à face avec le parquet. J'ouvre la fenêtre, et chuchote un "quoi ?" presque inaudible à travers les barreaux. Il me semble entendre la voix légèrement éraillée de la fille blonde d'à côté, Armelle.

Le vent emporte ses murmures jusqu'à mes tympans, et je l'entends dire "jardins", avant que sa fenêtre ne se referme en un claquement. Mon corps frémit d'impatience à l'idée de ce rendez-vous interdit. Mais ma conscience, plus sage, m'ordonne de rester dans cette chambre noire, avec, pour seule compagnie, mon sac en cuir et un sachet de cannabis. Après tout, je n'ai rien en commun avec cette fille. Tout nous oppose. Comme la lumière et l'obscurité. Le soleil et la lune. À nous deux, nous sommes un paradoxe.

Mon corps se lève tout seul et mon cœur commence doucement à émerger du sommeil, en tambourinant bruyamment dans ma poitrine. Mais ce n'est pas tant cette fille qui fait battre mon cœur contre ma cage thoracique. C'est de me rappeler tous ces rendez-vous dans les ruelles sombres des quartiers, des liasses de billets qui s'échangent, des cris des policiers qui hurlent des ordres aux gars comme moi. Le coup de feu qui part, et... le silence. Rien que le silence.

Je sors précipitamment de ma chambre. Je ne fais pas attention au bruit que je fais quand ma porte claque contre son encadrement. Tant pis pour cette fois.

Mes pas résonnent entre les murs sans vie de l'Institut. Armelle doit déjà m'attendre dans les jardins, sûrement assise sur le rebord de la fontaine vide ou sur un banc, cachée derrière des buissons nus. Personne ne me héle ni de l'étage, ni de l'accueil. Tout le monde est trop occupé à somnoler, essayant pourtant de se maintenir éveiller toute la nuit avec une tasse de café à la main. C'est par exemple le cas de Madame Hitch, la secrétaire de nuit. La tête renversée en arrière sur le dossier de son fauteuil, la fumée brûlante de son café s'échappe d'une tasse au sigle de l'Institut, indiquant qu'elle vient tout juste de se laisser tomber dans les bras de Morphée.

Marchant sur la pointe des pieds, je m'échappe du bâtiment par la petite porte derrière la salle d'attente. Quand je referme celle-ci, l'air frais me mordille presque instantanément la peau, et des petits points s'y dessinent. Quand je me détourne de la porte, les cyprès bien taillés et les sculptures de buissons nus laissent entrevoir une fine silhouette. Quand Armelle m'entend s'approcher d'elle, elle se retourne et me sourit, laissant dévoiler des dents légèrement de travers, un peu comme l'arrête de son nez.

- Tu voulais me voir ? Je lui demande, croisant mes bras sur ma poitrine.

Elle imite mon geste.

- Ava dormait, et tu es le seul à qui je n'ai pas envie de mettre une claque. Répond-t-elle, un sombre sourire collé sur son visage d'ange.

J'hausse un sourcil, amusé.

- Tu es sûre de ça ?

Elle décroise ses bras pour les laisser retomber le long de son corps, et penche sa tête sur le côté, son sourire toujours collé aux lèvres.

- Bon, peut-être pas... Rigole-t-elle. Mais tu m'énerves beaucoup moins que ce stupide Armand, l'infirmier parfait.

Sa réponse m'arrache un rire. J'avais presque oublié la sensation de légèreté et d'insouciance. Le sentiment d'être un adolescent lambda.

- Pourquoi est-ce que tu parais aussi fatigué ? Me demande-t-elle après un long silence.

Mon sourire s'efface, et je retrouve mon expression froide de tous les jours. Elle a touché un point sensible sans s'en rendre compte.

- On ferait mieux de rentrer. Si on se fait choper, on va passer un sale quart d'heure.

Esquiver les questions, c'est mon domaine. Mentir, s'échapper, contourner l'obstacle, c'est ce que je fais depuis cette soirée qui hante mes pensées jour et nuit, qui me rappelle que, peux importe mes actes, je reste un lâche.

Armelle ne répond rien. Elle ne me pose pas de questions, n'insiste pas, comme la plupart des gens le font, normalement.

- Je suis là, si tu as besoin de parler. Je ne te jugerais pas, à l'inverse de ces psys à la con. Parce que je vaux sûrement pas mieux que toi... Elle baisse les yeux et se mordille la lèvre inférieure. On a tous les deux faits une grosse connerie qu'on aimerait effacer, hein ? Mais comme on dit, rien ne sert de ressasser le passé, pas vrai ?

Je ne dis rien. Je reste fermer comme une huître. Une grosse connerie. C'est comme ça que je résumerais cette nuit. Une grosse connerie, ouais.

Armelle me regarde de ses yeux vert-gris, l'air perdu. Son regard est vide, comme le mien. Un seul regard peut refléter toutes les peines du monde. Une iris fait resurgir le passé, raconte le présent, et prédit l'avenir.

Elle effleure des doigts mon bras, me jette un dernier coup d'œil morose, et quitte les jardins en coup de vent. La sensation de ses doigts sur ma peau me laisse une sensation de brûlure, comme si ce toucher avait était marqué au fer rouge, et qu'il resterait à jamais gravé sur ma peau ébène. Mais peut-être que c'est mieux comme ça. Parce que pour rien au monde je n'aurais aimé que cette sensation ne s'estompe. Et je n'aime pas ça.

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