LA JOURNÉE EST PASSÉE à toute vitesse. Les séances avec le psychologue, la randonnée dans les montagnes accompagnée de Madame Richard et les heures de lecture aux côtés d'Armelle sont passées à la vitesse de la lumière. Quant à Marius, il n'est pas sorti de la journée. C'est son "jour de déprime", comme aime l'appeler Madame Aubry, la directrice de l'Institut.
Quand Armand passe éteindre les lumières dans les alentours de vingt-deux heures, Armelle ne tarde pas à sauter de son lit dès les vingt-trois passées. C'est toujours à cette heure-là qu'Anthony, le surveillant de nuit, s'endort sur son fauteuil au fond de l'allée.
Je demande à Armelle de m'aider à m'installer dans mon fauteuil, et, après avoir enfilé deux gros pulls en laine chacune, on sort sans bruit dans le couloir. Ma camarade de chambre sort un petit bout de papier plié de la poche de son pyjama à rayures, et le glisse sous la porte de Marius. À la seconde où celui-ci passe sous la rainure, on entend le papier se déplier derrière le panneau en bois. Le verrou de la porte 23 se déverrouille lentement, et laisse entrevoir la grande et imposante silhouette de Marius.
- Je t'ai déjà dit qu'on était pas amis, Prevost. Râle-t-il.
Dans la pénombre, impossible de distinguer correctement son visage. Mais il n'est pas compliqué de l'imaginer avec son petit rictus narquois collé au visage. Armelle lui donne un léger coup de poing dans le bras, retenant son rire.
Je leur dit de faire moins de bruit, et, après s'être calmer, Marius me prend dans ses bras, et me porte dans les escaliers, tandis qu'Armelle s'occupe de mon fauteuil.
Le froid nous mord la peau dès que nous refermons la porte du bâtiment derrière nous. L'accès handicapé glisse à cause du verglas, et Marius passe plusieurs fois à côté de la chute avec Armelle qui essaye tant bien que mal de s'accrocher à ma chaise. Finalement, personne ne tombe, et nous arrivons à notre destination finale. Les sapins empêchent la lumière de la lampe torche de Marius de transpercer correctement l'obscurité. Personne ne parle. Un silence enveloppant apaise nos cœurs abîmés. Quand nous arrivons devant le grillage entourant le lac, Armelle arrête de pousser mon fauteuil, et s'assoit avec Marius dans la pelouse. Armelle sort de sa poche un Ipod, et, après avoir chercher une musique pendant de longues minutes, lance Apocalypse de Cigarettes After Sex. La mélodie lente comble le calme ambiant de l'endroit, couvrant le bruit des minuscules vaguelettes du lac et les sifflements du vent.
Marius sort un paquet de cigarettes de sa poche, l'ouvre, et en tire la dernière cigarette qu'il glisse dans l'ouverture de sa bouche pulpeuse.
- T'as pas de feu ? Lui demande Armelle, surprise.
- T'as oublié où on était ? Lui rétorque Marius, un rictus collé à ses lèvres, la cigarette bougeant à chacun de ses mots.
Armelle lève les yeux au ciel, et tend la main vers l'objet mortel qu'elle attrape d'un rapide mouvement de la main pour le glisser à sont tour dans la commissure de ses lèvres.
- Armelle ? Je lui demande.
La blonde lève la tête vers moi.
- Ouais ?
Je bouge légèrement dans mon fauteuil pour trouver une position plus confortable.
- Le premier jour, avec Monsieur Jean, pourquoi tu n'as pas réussi à dire pourquoi tu étais ici ?
Elle retire lentement la cigarette de sa bouche, avant de la tendre à Marius. Son regard dérive vers le lac, et s'éteint à petit feu. Je n'avais jamais remarqué à quel point elle était pâle, fatiguée, malheureuse. Le genre de fille au cœur lourd et aux pensées noires. Des pensées noires qui la dévorent, la hantent, la consument à petit feu, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que cendres et larmes. Marius me lance un regard inquisiteur. C'est un code d'honneur entre nous deux: ne jamais insister sur le passé. Bien trop douloureux. Moins nous connaissons de choses sur les gens, plus ils nous paraissent vierges, incapables de faire du mal.
Au moment où Armelle tourne la tête vers moi, Marius se lève brusquement, une lueur de panique dans les yeux.
- Merde ! Y'a les surveillants ! On va se faire chopper !
Mon cœur s'emballe, Armelle se relève précipitamment à son tour, et agrippe fermement les poignées de mon fauteuil espérant échapper aux surveillants.
La lumière de leurs lampes torches nous aveugle. Les voix de Yasmina et Anthony couvrent la musique de l'Ipod. Ils paraissent furieux et paniqués. S'il nous était arrivé la moindre chose, ils auraient eu de sacrés ennuies. Ils abaissent leurs lampes torches, et soufflent de soulagement, ravis de constater que nous sommes sains et saufs.
- Mais qu'est qui vous a pris de sortir dehors à cette heure-là par ce temps ?! Nous réprimande Yasmina de sa voix aiguë, la colère faisant hausser les décibels à chaque nouveau mot. Il aurait pu se passer quelque chose de grave ! Mettre votre vie en danger en plus de celle d'Ava ! Vous êtes complètement irresponsables !
Je lève les yeux au ciel. À l'entendre, j'ai l'impression d'être en sucre ou une petite bête fragile qu'il faut protéger à tout prix. Marius, lui, n'a pas son habituel petit rictus accroché à ses lèvres. Ses yeux ébène sont rivés vers le sol, honteux. Il a bien trop peur d'être renvoyé de l'Institut et de décevoir à nouveau sa mère.
Quand Yasmina finit son laïus, Anthony s'empare de ma chaise roulante, et me pousse jusqu'au bâtiment, pendant qu'Armelle et Marius marchent aux côtés de la surveillante. Finalement, Armelle et moi sommes reconduites dans notre chambre, et impossible d'en sortir puisqu'Anthony veille en face de la porte.
Je me jette dans mon lit, et manque de me rétamer par terre, arrachant un petit rire à Armelle. Je lui renvoie un regard noir.
- Tu te moqueras moi quand tu baleyeras la cour avec Marius. Je réplique, un sourire insolent sur le visage.
Cette petite pique à le mérite de lui clouer le bec. Comme aucune de nous ne semble vouloir arracher une parole à l'autre, je lui pose une question d'une petite voix, espérant que celle-ci ne soit pas aussi délicate que celle de tout à l'heure.
- Tu as déjà était amoureuse, toi ?
Elle tourne la tête vers moi, et ferme les yeux pour cacher sa peine.
- On l'a tous été un jour. Je suis juste pas tomber sur la personne qui a bercé mes peines, mais qui les a plutôt fait naître.
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Les Miraculés
Teen FictionAprès une tentative de suicide, Armelle est envoyée dans un centre pour adolescents en détresse. Et quand le monde entier semblait lui avoir tourné le dos, la jeune fille rencontre Marius et Ava, deux adolescents qui cherchent eux aussi à se reconst...