Chapitre 12 - Ava

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MES POINTES ROUGES ont entièrement disparu, et mon trou de piercing à la narine commence doucement à se refermer

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MES POINTES ROUGES ont entièrement disparu, et mon trou de piercing à la narine commence doucement à se refermer. Maman aurait été ravie de me revoir à "l'état normal". Mais elle ne sait pas que ces petites choses signifient autant pour moi. Ces "trucs", comme elle les appelle, m'ont un peu changée, depuis l'accident. Ça me permet d'oublier, de me sentir quelqu'un d'autre, de repousser légèrement mes bourreaux, de me dire que cette Ava d'avant a disparu.

Aujourd'hui, c'est le jour où j'ai rendez-vous avec le kiné. Je suis restée dans mon lit jusqu'au dernier moment. Ces séances me font atrocement mal, et me rappel sans arrêt que je ne retrouverais jamais l'usage de mes jambes. C'est comme se raccrocher à un cauchemar douloureux. Impossible à oublier parce qu'on ne peut pas, parce qu'il est ancré en nous.

Une infirmière vient me chercher. J'aurais aimé que ce soit Armand. Elle m'aide à m'assoir dans mon fauteuil, et, ensemble, on prend le chemin de l'infirmerie en silence.

Je refuse que l'infirmière me pousse. Je refuse de perdre le peu de dignité qu'il me reste. Après le toilettage quotidien à l'hôpital et ma mère qui me donnait à manger, savoir que je peux pousser mon fauteuil seule m'aide à me dire que je ne suis pas devenue un boulet pour tout le monde.

Le kiné est un petit homme chauve et bedonnant aux allures bourrues. Il ne parle pas et fait son travail. Je grimace au moment de m'allonger sur la table. Ma colonne vertébrale est tellement fragile que chaque mouvement me fait un mal de chien.

Tout le long de la séance, la tête coincée dans le petit trou de la table, je laisse les larmes couler sur mes joues. Des larmes de douleur et de remords. Tout ce qui se qui m'arrive est ma faute. Entièrement ma faute.

La séance finie, le kiné m'aide à me remettre sur ma chaise. Il me donne une plaquette d'antalgiques, et part s'enfermer dans son bureau sans un au revoir.

Je jette les médicaments dans la poubelle la plus proche. Pas question de fuir la douleur que je me suis infligée à moi-même. Je pousse les roues de mon fauteuil. Mon rendez-vous avec Monsieur Jean, le psy, est dans trois heures. J'ai largement le temps de passer chez Maëve acheter des cigarettes.

Je prends l'ascenseur et roule tout au bout du couloir de droite, chambre 200. De le fumée s'échappe de sous la porte, et j'entends des rires. Maëve doit sûrement être défoncée, ou alors c'est une de ses copines.

Je toque timidement, et, d'un coup, tous les rires se stoppent. Instantanément. La fumée disparaît, et, bientôt, Maëve m'ouvre la porte.

Maëve est plutôt jolie. Avec ses courts cheveux noirs, ses yeux bleus cristal et son visage rond, elle fait des ravages chez les filles et les garçons.

- Oh putain, c'est toi Ava ! S'exclame-t-elle en soupirant de soulagement, la main sur le cœur. Tu m'as foutu la frousse meuf ! J'ai bien cru que c'était Aubry.

Comme je ne réagis pas, Maëve s'écarte de la porte pour me laisser entrer, et la claque dès l'instant où mon fauteuil est entièrement entré.

Deux filles - l'une à l'air sage et l'autre plus rebelle - me fixent comme si j'étais un ovni. Celle à l'air plus sage, voyant bien que je ne suis pas un potentiel danger, se rallume une cigarette, ou plutôt un joint qui sent atrocement mauvais. La deuxième se contente de continuer à me regarder d'un air féroce.

- Tu veux des Malboros comme d'hab ? Me demande Maëve en me tendant un paquet de cigarettes.

- Non.

Je fixe mes ongles rongés.

- Un truc plus fort.

Elle lâche un petit "oh", et fouille dans le fond de sa valise avant d'en sortir un petit paquet d'herbe.

- Inès et Harold sont revenus, c'est ça ? M'interroge-t-elle en me tendant quelques feuilles à rouler.

Je hoche la tête.

- Ouais...

L'accident me revient en tête et j'essaie de chasser mes pensées dans un coin de ma tête. Pas maintenant. Pas ici.

Je lui tends deux billets de vingt, la remercie platement, fixe à mon tour les deux filles, et repart de la chambre 200, mon paquet d'herbe caché dans la poche intérieure de mon gilet.

Je erre pendant quelques temps dans les jardins, à observer les montagnes enneigées, les sapins dénudés et les quelques pensionnaires de l'Institut qui s'embrassent, discutent et plaisantent sur des bancs. Si on regarde la façade du Centre, tout est beau, tout est rose et les adolescents à problèmes deviennent tout à coup des enfants modèles. Toute cette hypocrisie me donne envie de vomir.

Finalement, les trois heures passent à tout vitesse. Je fume un dernier joint, et me rends dans ma chambre pour troquer mon jogging taché de sauce tomate pour jean propre. L'Institut exige que nous portions des tenues correctes pour les rendez-vous avec le spy. Allez savoir pourquoi.

Je toque à la porte du bureau de Monsieur Jean. Il me crie d'entrer, je respire une dernière fois, et pousse la porte. La pièce dédiée à Monsieur Jean est peinte avec des couleurs criardes. Des tonnes de messages sur la soit-disant "positivité" ornent les tableaux de liège.

Monsieur Jean vient me serrer la main, et pousse les fauteuils en face de son bureau pour que je m'installe devant lui. Il repart s'assoir sur sa chaise, et me demande comment je vais. Je réponds rapidement que ça va, que je dors bien, que je ne fais plus de cauchemar lié à l'accident.

Des conneries. Un tas de conneries.

- Je sais que c'est compliqué pour toi d'appeler ta mère. Mais je pense que tu devrais le faire. Elle s'inquiète beaucoup pour toi. Ne te mûres pas dans le silence, Ava, ça risque de te faire du mal.

Je baisse la tête. Appeler ma mère, ça ferait tout ressortir. Tout ce bordel dans ma tête se mélangerait avec les pensées noires. Ça prendrait le dessus sur tout et peut-être que cette fois-ci j'arriverais pas à l'arrêter.

Monsieur Jean se racle la gorge. Ce son là, c'est synonyme "d'aborder les choses un peu dures". Les choses qui font mal. Celles qui expliquent pourquoi je suis ici.

- Ne me parlez pas d'Inès et Harold, monsieur. Je suis pas sûre d'y arriver. Je marmonne, la voix remplie de sanglots.

Monsieur Jean soupire et m'observe de son regard empli de pitié.

- Parler de ça te ferait beaucoup de bien, je t'assure. Ça enlèverait un poids considérable de tes épaules.

Je ne réponds rien. La dernière fois que j'ai essayé de lui en parler, j'ai éclaté en sanglots. Si fort que je suis tombée par terre, le cœur brisé en milles morceaux.

Monsieur Jean regarde sa montre, et m'annonce que la séance est terminée. Malgré tout, il continu de m'observer de ses yeux de merlan-frit, dans l'espoir de m'arracher ne serait-ce que quelques mots. Je m'enfonce dans mon silence obstiné. Il renonce et me raccompagne à la sortie, et me laisse de nouveau seule, le corps lourd de remords et de chagrin.

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