Chapitre 9 - Armelle

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CE MATIN, il fait particulièrement froid

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CE MATIN, il fait particulièrement froid. J'ai beau avoir enfilé une grosse doudoune et entouré mon cou d'une épaisse écharpe qui gratte, j'ai l'impression que des millions de petites aiguilles chauffées à blanc me piquent la peau.

Je cale mon balais contre le mur du bâtiment et la petite cabane en bois abritant les outils des jardiniers, et frotte mes mains pour essayer de recueillir le plus de chaleur dans le creux de mes paumes. Je me hais d'avoir oublié mes gants à Paris.

- Hé, Prevost ! J'vais pas faire tout tout seul, j'te préviens. Râle Marius et jettant un gros tas de feuilles rouges et orangées dans un sac en carton.

Je lève les yeux au ciel, souffle dans mes mains, et reprends ma corvée à contre-cœur. Tout en balayant les quelques feuilles mortes de la cour, j'observe la salle d'isolement où se trouve Ava. Elle aussi, nous regarde nous affairer, un petit sourire moqueur pendu à ses lèvres. Je la fusille du regard, et recommence à balayer les feuilles sur le béton. Marius, lui, semble aussi avoir remarqué le petit air supérieur qu'Ava nous lance depuis le début, et lui offre un joli doigt d'honneur en cadeau. La brune affiche un faux air boudeur, et souffle sur la vitre. Sa respiration forme instantanément de la bué sur la grande baie vitrée, et y dessine un bonhomme souriant où le trait arqué dégouline bientôt. Il faut croire que même les émoticônes sont déprimés, dans ce centre.

Quand les premiers flocons de neige commencent à tomber des nuages grisâtres, l'agent d'entretien chargé de nous surveiller nous demande de rentrer avant que nous n'attrapions froid. Avec Marius, on lui répond que la neige ne nous dérange pas, il insiste, on insiste à notre tour, et, finalement, il lâche l'affaire en grommelant un: "Ah, les jeunes. Tous les même !", avant de claquer la porte derrière lui.

Marius finit de ranger les sacs remplis de feuilles à côté de la cabane à outils, et tourne la tête vers moi. Quelques flocons sont accrochés dans ses cils aussi noirs ébènes que ses cheveux et sa peau. Il est si beau, même avec ce temps déprimant.

On reste planté au milieu de la cour, comme des imbéciles heureux, à se regarder dans le blanc des yeux. J'ai l'impression que son regard me dévore et me brûle la peau, bien plus que le froid mordant.

Cette sensation, elle, n'est plus si nouvelle, depuis la rentrée des classes, il y a sept mois. Cette sensation d'attirer et de dégoûter tous les regards. L'impression de brûler vive sans personne pour éteindre le feu qui me consume de l'intérieur, lèche mon cœur et désintégre mes poumons.

- On ferait mieux de rentrer. J'ai les doigts qui commencent à geler. Lance Marius, brisant la bulle de silence qui nous entourait jusqu'ici.

J'hoche lentement la tête, un peu désarçonner pour la froideur du ton de Marius. La chaleur du hall d'entrée me réchauffe presque instantanément. Finit le froid et la neige pour cet matin. Ava nous rejoint bientôt au self, son sourire solaire affiché sur le visage.

Les lentilles en bouillie et le steak haché poisseux me coupent l'appétit.

- Les parents payent une fortune pour cet Institut, et on doit manger cette merde ? Peste Ava en repoussant son steak végétal avec une moue dégoutée.

- Techniquement, ta mère ne paye pas. C'est tout le principe de notre séjour ici, Ava. Rétorque Marius en prenant une grosse cuillère de lentilles qu'il englouti.

- Peut-être, gros malin. Mais je te rappelle que les parents d'Armelle, eux, doivent payer.

Marius lève les yeux au ciel.

- C'est pas comme s'ils allaient se ruiner hein... Marmonne-t-il.

Je baisse les yeux sur mon assiette. Pourquoi tout d'un coup Marius est-il si agressif et distant ?

Ava me lance un regard désolé en haussant des épaules, et, bientôt, elle part rejoindre Armand à l'autre bout du self.

- T'as un problème avec moi, aujourd'hui ? Où c'est ton caractère de cochon qui a repris le dessus ? Je plaisante à moitié, me tournant vers Marius.

Le brun se tourne vers moi, ses yeux noirs me lançant des éclairs.

- Lâche moi un peu, Prevost. Je t'ai dit qu'on était pas amis. Et d'ailleurs, pour info, on ne le sera jamais. On a rien en commun, toi et moi.

Et il quitte la table, furieux, attirant tous les regards vers nous. Leurs regards qui me brûlent la peau au troisième degré, et s'y gravent au fer rouge.

Tout l'Institut est en effervescence depuis l'annonce d'un week-end "à la belle étoile" dans la forêt avec les pensionnaires les plus compliqués, censé les faire s'ouvrir au monde qui les entoure

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Tout l'Institut est en effervescence depuis l'annonce d'un week-end "à la belle étoile" dans la forêt avec les pensionnaires les plus compliqués, censé les faire s'ouvrir au monde qui les entoure. Armand, le jeune infirmier, s'occupe de faire les bagages de tout le monde, madame Pichard vérifie le matériel de camping, et la nouvelle psychologue, Marie Leveque, vérifie tous les certificats médicaux des pensionnaires participant à cette excursion.

Ava se lamente depuis plus d'une heure après avoir appris qu'elle ne pourrait pas venir à cause des chemins trop caillouteux et escarpés pour son fauteuil.

Un week-end sans Ava. Seule. Terriblement seule.

Ça fait maintenant plus de deux semaines que Marius ne m'adresse plus la parole après la scène du self. Il refuse d'assister aux thérapies de conversation, et reste enfermer dans le noir toute la journée. Quand j'ouvre la fenêtre de ma chambre le soir, j'ai l'impression de sentir une étrange odeur de cannabis flottant dans les airs. Mais peut-être que ce n'est que mon esprit qui me joue des tours, puisqu'Adam en fumait à toutes les fêtes avec ses ordures d'amis.

Quand Armand toque à la porte de Marius, seul le silence lui répond. Il sort une clé de sa blouse d'infirmier, et déverrouille la porte après avoir averti Marius qu'il entrait. Mon cœur tambourine dans ma poitrine à l'idée de revoir Marius après ces deux longues semaines. Je n'avais pas remarqué à quel point je m'étais attachée à lui.

Le garçon à la peau d'ébène sort bientôt de sa chambre. De grosses cernes violettes entourent ses yeux noirs de jais et ses cheveux paraissent plus ébouriffés que jamais. Mais surtout, son regard semble éteint. Il a l'air complètement perdu, désarsonné. Seul.

Marius a changé depuis ces deux semaines passées. Mais pas en bien.

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant