Chapitre 4 - Ava

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ARMELLE REFUSE CATÉGORIQUEMENT de sortir de la chambre depuis maintenant une heure

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ARMELLE REFUSE CATÉGORIQUEMENT de sortir de la chambre depuis maintenant une heure. Alors après avoir essayé de la soudoyer avec un paquet de cookies bios volé dans la cuisine du Centre et un paquet de cigarettes, je jette l'éponge après un énième refus, plus hésitant cependant après la mention des cigarettes. Au moins une personne dans ce Centre qui aime se cramer les poumons jusqu'à en avoir mal.

Comme je n'ai toujours pas appeler ma mère depuis que je suis arrivée ici, je décide de m'ateler à cette dure épreuve en traînant les pieds jusqu'à la salle des téléphones. Une surveilante - Yasmina - note mon prénom et mon nom de famille sur un petit carnet, et me laisse entrer dans la petite pièce en refermant la porte derrière moi. Il y a quatre petites cabines collées au mur de droite, toutes séparées par de fines parois en verre opaque. Un téléphone est occupé par une fille en pleurs qui répète à son interlocuteur de rentrer à la maison.

Je ne pense qu'à deux choses: finir la conversation avec ma mère le plus vite possible, et essayer de ne pas fondre en larmes. Parce que je suis forte. Je suis une lionne, comme dirait maman. Et rentrer à la maison ne servirait à rien, ça ne ferait qu'empirer les choses, de me trouver dans un endroit qui me rappelle que je ne suis pas là bienvenue depuis l'accident. Parce qu'après tout, tout se fissure à un moment.

Les amitiés d'école, les amourettes du lycée, et même les choses qui nous sont le plus chères finissent un jour par se briser. D'abord lentement et sinueusement, puis de plus en plus vite, jusqu'à ce que tout se brise pour n'en laisser que quelques morceaux irréparables.

Je sursaute quand la fille en larmes crie une dernière fois, et la regarde déposer le combiné sur la petite station, la main tremblante. Elle me regarde quelques secondes, reniflant, honteuse d'avoir était vu en plein moment de vulnérabilité, et sort précipitamment de la salle. Je m'avance vers la station du fond, et tape lentement le numéro de portable de ma mère. Le combiné sonne une fois, deux fois, trois fois, et alors que je pensais qu'elle n'allait finalement pas décrocher - à mon plus grand soulagement - sa voix fluette retentit à la fin de la dernière sonnerie et arrive jusqu'à mon oreille, me faisant presque instantanément monter les larmes aux yeux.

- C'est toi, Ava ?

Je hoche la tête tout doucement, avant de me rappeler qu'elle n'est pas là, devant moi, prête à me serrer contre elle, son tablier rouge collant à mes vêtements.

- C'est moi, maman.

J'arrive à prononcer ces quelques mots sans l'ombre d'un sanglot. On dirait que je suis devenue maître dans l'art de la dissimulation.

- Comment vas-tu ma chérie ? L'Institut te plaît ? Tu t'es fait des copains ? Demande-t-elle sans reprendre sa respiration une seule fois.

Sa petite voix me réchauffe rapidement le cœur. C'est pour ça que j'ai autant repoussé le moment de l'appeler. Parce qu'entendre la voix de la personne qui met la plus chère sur cette Terre me rappelle que je ne l'ai pas à mes côtés, mais à des kilomètres.

- Ouais, ça va. Y'a Marius, la deuxième personne à avoir été tirée au sort, et Armelle, ma camarade de chambre un peu cheloue mais un peu cool quand même. Je marmonne en baissant mes yeux sur mes ongles rongés.

J'ai l'impression de la voir sourire à travers le téléphone. Elle me manque. Terriblement. Sans sa bouée de sauvetage, on se noit inévitablement.

- Il faut que je te laisse, maman. Les minutes sont bientôt finies. Je mens, une douloureuse boule se formant dans ma gorge.

- Bisous ma chérie. Je t'aime.

Et je raccroche, en réprimant les larmes qui me brûlent la rétine. J'aurais dû lui dire que, moi aussi, je l'aime. Mais ces trois petits mots, pourtant si anodins, refusent de franchir le seuil de mes lèvres, me laissant un goût acide de bile dans la bouche. Parce qu'un "je t'aime" signifie tout et rien. Des mots prononcés dans le vent, qui détruisent et qui rassurent. Un moyen de savoir que quelqu'un nous aime, même si, parfois, ces mots là ne signifie rien de plus qu'un amas d'hypocrisie.

Je me mets en boule sur mon fauteuil, et réprime un cri en me mordant le poignet. Pourquoi est-ce si dur de vivre ? J'ai l'impression que depuis le jour où cette fichue voiture s'est retournée, je ne fais que survivre en me raccrochant inlassablement à ma bouée de sauvetage qui se dégonfle un peu plus chaque jour.

Yasmina rentre dans la pièce pour m'indiquer que les dix minutes sont écoulées, et je repars, honteuse, vers la chambre. Cette fois-ci, quand je me mets à sangloter en tapotant mollement sur la porte en bois de la chambre, Armelle vient ouvrir. Même si nous ne nous connaissions que depuis quelques heures, elle m'a ouvert la porte, une boîte de mouchoirs dans une main, et mon paquet volé de cookies bio dans l'autre. Je me mets instantanément à pleurer. Armelle me rappele Inès. Inès n'avait pas besoin de parler pour réconforter. Son silence était bien plus fort que tous les mots existants sur cette Terre. Et je pleure, je pleure, parce qu'Inès est morte, et que son silence ne me bercera plus jamais.

Armelle me tend un mouchoir, que je lui arrache presque des mains, et essuie du mieux que je peux les larmes qui glissent en cascade sur mes joues. Si j'avais su que je pleurerais devant elle le premier jour de sa venue à l'Institut...

Elle se décale de la porte pour me laisser passer mon fauteuil et moi, avant de refermer la porte derrière elle. Je vois qu'elle a essayé de camoufler la tonne de mouchoirs qu'elle a utilisé en les cachant sous son lit. Je remarque même à travers mes propres larmes que ses joues roses sont striés de traits de mascara. Quand je me contorsionne dans mon fauteuil pour essayer dans sortir, Armelle me vole un cookie, avant de partir s'enfermer dans la salle de bain, un maillot de bain pendant sur son bras droit, sa valise dans la main gauche. Je fronce les sourcils en signe d'incompréhension.

Je l'entends s'affairer dans la salle de bain, plaquant sa grosse valise derrière la porte. Je hausse les épaules, et, une fois une jambe posée sur le matelas, je me jette de tout mon long sur celui-ci. J'attrape un gâteau et le fourre dans ma bouche, avant d'attraper mon IPod sur ma table de chevet, et le casque d'Armelle. Elle ne m'en voudra certainement pas de lui avoir emprunter.

Je fais longuement défiler ma playlist, avant de m'arrêter sur un titre de Billie Eilish, Everybody Dies. La mélodie commence, et, bientôt, les paroles suivent. Je les laisse infiltrer tout mon corps, jusqu'à la dernière parcelle. Je ferme les paupières, et je prie pour que, demain, tout finisse par s'arranger. Parce que la vie, c'est comme ça. Elle ne repose que sur l'espoir. C'est l'espoir, qui fait vivre. Mais à quoi bon espérer quand cet espoir ne finit jamais par être acquéri ?

Les MiraculésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant