Chapitre 6

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Le lendemain matin, j'étais chez mon médecin, jouant la comédie de la gastro. Ce ne fut pas un gros effort à fournir car j'avais fait un crochet pour prendre de petit-déjeuner au McDo, et mon intolérance au gluten aidant, les dix minutes que durèrent la consultation furent ponctuées de bruits de ventre en tous genres.

Mon arrêt maladie posté, je rentrai chez moi fière de mon coup. J'aurais aimé pouvoir voir leurs têtes quand ils sauraient qu'ils ne me reverraient plus. Personne n'était indéboulonnable mais il y avait quand même des gens qui abattaient plus de travail que d'autres et risquaient malgré tout de manquer. J'envoyai un SMS à Estella pour la prévenir que j'étais malade, que je ne reviendrais pas et lui souhaitais bonne continuation. C'était une des rares filles avec qui je m'étais entendue car c'était la plus authentique.

Je m'assis à mon bureau et allumai mon Mac. Je devais me renseigner sur ce qu'était la vie de chômeur. Sûrement un parcours du combattant d'après ce que j'en avais entendu dire. Pendant que mon ordinateur démarrait, j'attendis le menton posé entre mes deux mains, fixant la pomme qui s'afficha sur l'écran. Sans même m'en rendre compte, je commençais à faire ce que je faisais de mieux quand je ne faisais rien, penser.

Ce qui m'attendait prenait forme dans ma tête : je me voyais dans un longue file d'attente de gens désespérés et hagards, en train de remplir des tonnes de paperasse, ou chercher un bureau dans un dédale de couloirs. Ce cauchemar éveillé me propulsa même un moment aux États-Unis. Je me retrouvais dans un resto diner miteux avec un journal de petites annonces posé sur une table devant moi, à barrer d'une croix au feutre rouge les offres les unes après les autres, après avoir essuyé des dizaines de refus au téléphone. Puis je me retrouvai sous les ponts, perdue, sale et en guenilles, à lutter contre le froid et la faim. Des phares dans la nuit, des coups de klaxon, un crissement de pneus et c'en était fini de ma vie de chef de projet dans l'édition. Même mes digressions mentales étaient influencées par les productions américaines.
Contrairement à mes rêveries habituelles qui finissaient souvent pas un mariage, celle-là finissait mal. Sauf que cette fois-ci, c'était bien dans la réalité que ça avait mal fini.

D'un coup, le ciel me tomba sur la tête. Je réalisai la situation. Les larmes me montèrent aux yeux et je commençai à pleurer. D'abord sans bruit, puis à chaudes larmes et à gros sanglots, comme étreinte par un chagrin d'enfant. Plus je pleurai et plus j'avais envie de pleurer. En reniflant, je relevai les yeux vers mon écran et ce que je vis me fit un choc. Le nez rouge comme celui d'un clown, les yeux bouffis et cernés, la bouche gonflée et les joues baignées de larmes, je me fis de la peine à moi-même.

Dans un sursaut d'orgueil, je me repris. Ça n'allait pas se passer comme ça. J'étais une battante, hors de question que je verse une larme de plus pour des gens qui n'en valaient pas la peine. Il fallait que je me prenne en main et que je prépare un plan d'action. Je ne savais plus quel collègue m'avait un jour fait un topo sur la proactivité mais c'était bien le moment de remettre ça au goût du jour.

Je passai la journée à réfléchir : à situation tragique, mesure désespérée.
J'alternais les phases de cogitation avec des phases de détente. Je regardais des vidéos sur internet et m'essayais à tout un tas d'activités ridicules mais salvatrices pour ma santé mentale. Je fis des tours de cartes, dansai la danse du robot, me coiffai avec un chignon de mariage, mis des Mentos dans un canette de Coca, essayai d'allumer un feu avec du papier chewing-gum et une pile, et repliai tous mes T-shirts à manches courtes en moins de trois secondes chacun.
À la fin de la journée, j'avais fait n'importe quoi mais j'étais beaucoup plus relax.

Et surtout, j'avais une meilleure idée de comment commencer le reste de ma vie. J'allais me mettre au sport et partir en vacances. J'avais passé cette dernière année à travailler sans m'arrêter et c'était tout simplement indispensable au point où j'en étais.
Il n'était bien sûr pas question de dépenser des fortunes pour partir à l'autre bout du monde, mais juste de changer d'environnement et de prendre un bol d'air.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant