Chapitre 2

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- Qu'est-ce qui pourrait bien faire que tu sois devenu adroit d'un seul coup ?

- Et bien je prends des cours de cuisine depuis quelques mois. Il y a un atelier qui a ouvert au centre-ville et j'y vais tous les samedis matins...

- Et depuis, tu n'es plus maladroit ? J'ai du mal à y croire...

- Et pourtant... Tu verrais notre cheffe, c'est une femme charmante. Et très pédagogue... Elle nous a enseigné les techniques de découpe la semaine dernière. Brunoise, mirepoix, julienne, paysanne... Elle nous a appris à tourner les légumes et ce n'est que le début. Je suis devenu beaucoup plus habile depuis que je prends ces cours... »

Il y avait anguille sous roche, voire baleine sous gravillon. Je trouvais mon père un peu trop guilleret pour quelqu'un qui parlait de tourner des artichauts. Tandis que nous continuions de rouler, je creusai.

« Et elle a quel âge cette cheffe ?

- Oh, je ne sais pas trop... Sûrement à peu près le même âge que moi.

- Comment elle est ?

- Très gentille.

- Je ne parle pas de son caractère...

- Tu sais, à nos âges, le physique...

- Tu exagères, tu n'es pas si vieux... Tu as quoi ? 52 ans ?

- 55, ma chérie.

- C'est pareil... Alors ? Tu n'as pas répondu...

- Je ne sais pas, je n'ai pas fait attention.

C'était incroyable le nombre de personnes qui semblaient penser que j'étais complètement ahurie. Même mon père.

« Mais oui, c'est ça, prends-moi pour une courge. Et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d'alu... »

Je sentais de sa part une résistance à développer et donner des détails qui ne se serait pas manifestée s'il n'y avait rien à cacher.

« Mais qu'est-ce que tu vas t'imaginer enfin... Je ne suis pas assez bien pour elle de toute façon.

- C'est sûr qu'avec ton look, même une clocharde ne voudrait pas de toi !

- De quoi tu parles ? Qu'est-ce qu'il a mon look ?

- Et ben on dirait que tu sors d'un téléporteur qui t'aurait arraché aux années soixante-dix...

- C'était le bon vieux temps pourtant...

- Oui, j'en doute pas mais pas en matière de mode.

- Tu crois vraiment que les gens font attention à ça ?

- Oh que oui... Et les femmes normalement constituées trois fois plus. Donc en l'état actuel des choses, laisse-moi te dire que ta cheffe, elle n'a même pas commencé à envisager le début du départ de l'ébauche des prémices de quoique ce soit avec toi.

- Tu es un peu dure là...

- Même pas. Je t'assure, tu peux me croire. Niveau style, tu ressembles à du rien ringard croisé avec du vide has-been. Tu as l'air dramatiquement démodé.

- C'est si grave que ça ?

- Dix fois pire que ce que tu imagines...

- Qu'est-ce que je peux faire alors ?

Je tenais un embryon de prise de conscience, il ne fallait pas lâcher le morceau. J'avais tenté plus d'une fois de faire entendre raison à mon père mais n'avais jamais obtenu quoique ce soit de plus que des moues désintéressées ou des protestations plus ou moins vigoureuses. La mode, c'était pour lui comme une ville très lointaine dont il avait entendu parler, mais qu'il ne verrait jamais de près. Cependant, je sentis que je tenais le bon bout. Il semblait que cette cheffe avait changé ses perspectives et éclairé son horizon et le mien par la même occasion. Maintenant que j'avais amené une lueur de raison dans l'esprit de mon père et qu'il n'avait pas contesté, il ne me restait plus qu'à lui faire une proposition.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant