TROISIÈME PARTIE Chapitre 1

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Les larmes me montèrent aux yeux et la mélancolie m'envahit. Je restai là, seule avec moi-même, regrettant de devoir les laisser. Cette expérience m'avait servi de leçon. Il fallait que je mette la pédale douce sur ma méfiance, que je fasse confiance au hasard et que je lui laisse plus de place pour que viennent par lui de nouvelles expériences enrichissantes comme celle que je venais de vivre.

Je repartais avec quelques nouveaux amis, une bonne action à mon crédit et beaucoup de bons souvenirs. Ce temps passé loin du tumulte de la vie parisienne m'avait aussi permis de mûrir ma décision concernant Walter et j'avais maintenant hâte de rentrer. Je n'allais passer que deux jours chez mon père et je retrouverais mon train-train quotidien sous une nouvelle forme. Je n'y avais pas pensé de toute la semaine mais la recherche d'emploi à laquelle j'allais devoir me confronter m'angoissait.

J'avais donc refoulé toutes les pensées en rapport avec le travail durant ces quelques jours, ce qui m'avait permis de me reposer, de profiter agréablement de cette coupure et d'en tirer un maximum de bénéfices.

Quelques dix minutes plus tard, le train entra en gare. Durant le trajet, je vérifiai mes mails mais ne trouvai qui vaille la peine d'être lu. La rame étant vide et calme, j'en profitai pour faire un petit somme. J'étais profondément endormie lorsque de nouveaux voyageurs firent leur entrée à l'arrêt suivant.

Comme c'eut été trop demander de pouvoir profiter du trajet paisiblement, je tirai le gros lot en l'arrivée d'une classe d'écoliers. Je me redressai en maudissant le hasard, qui s'acharnait régulièrement sur moi. C'était devenu une de mes spécialités que d'acheter un nouvel appareil qui allait tomber en panne une semaine plus tard, de choisir la caisse de supermarché où il allait manquer un prix, ou encore de prendre dans la pile le magazine dont les pages étaient mal massicotées.

Dans l'esprit de cette logique poisseuse, il n'y avait finalement aucune raison pour que mon wagon se trouve occupé par une troupe de sourds et muets. Cinq minutes plus tard, le temps pour ces charmants bambins de prendre leurs aises, le wagon fut envahi de cris en tous genres, qui croisaient dans les airs des objets volants non identifiés.

Devant cette invincible adversité, j'optai pour la solution du repli stratégique et décidai de finir mon voyage au bar situé trois wagons plus loin.

Je m'installai sur un tabouret devant le steward qui me salua avec le sourire et prit ma commande. C'était un homme au physique assez banal et il semblait l'avoir compensé avec une forte tendance à la prolixité. J'étais à peine assise qu'il avait déjà commencé à faire preuve de sont talent pour l'art de la petite conversation. J'avais fui la peste pour le choléra et à moins de faire le voyage sur le toit du train, j'étais condamnée à avoir quelque chose à entendre jusqu'à l'arrivée. Je me contentai donc d'acquiescer sans relancer tout en sirotant mon café.

Il fit la conversation à lui tout seul et me narra toutes sortes d'anecdotes assez drôles sur ce à quoi l'avait confronté son statut d'homme à qui tout le monde raconte sa vie. Finalement, cet échange prenait une tournure plus plaisante que ce à quoi je m'attendais.

Comme je ne disais toujours pas grand chose, il m'expliqua, sûrement pour me motiver, comment les gens prenaient un grand plaisir à parler d'eux et à étaler sans aucune gêne leur vie privée devant un inconnu. Il se vanta d'attirer les confidences des passagers car il suffisait selon lui qu'il pose une ou deux questions bien choisies pour faire s'ouvrir les vannes de leur envie de s'épancher.

Mais en l'occurrence, c'était lui qui était en train de le faire. Il m'exposa ses meilleurs récits avec forces détails et moult circonvolutions et contribua sans le vouloir à faire passer le temps plus vite. En somme, il devait être en train de se défouler des nombreuses fois où il avait dû tomber sur des passagers abrutissants, qu'il avait été contraint d'écouter avec le sourire.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant