Chapitre 6

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Je ramassai de belles laitues et nous partîmes en direction de la cuisine, Sœur Marie Lazare et moi, après être passées saluer Sœur Espérance et Sœur Anne-Sophie Marie Madeleine. Je m'abstins de commenter mentalement leurs dénominations religieuses, n'étant pas dans l'impossibilité de finir par m'y habituer.

Les trois sœurs n'étaient plus toutes jeunes. Elles étaient vêtues à l'identique d'une jupe droite bleue marine, d'un simple chemisier blanc dont le col fermé ne laissait pas entrevoir plus de peau que nécessaire, d'une paire de bas blanc opaques et de chaussures noires à lacets complètement anti-sexy. Leurs cheveux étaient couverts d'une coiffe bleue marine avec un rebord blanc. Elles portaient toutes les trois une croix pectorale en argent. Sœur Marie Lazare, qui semblait être la plus âgée, avait de petites lunettes rondes cerclées de métal qui lui donnaient un air encore plus sérieux que ne le faisait déjà sa tenue.
Je la suivis le long de la galerie couverte, mes salades dans les bras.

« Vous plaisez-vous ici ? »
Gênée, ne sachant comment évoquer le confort auquel j'étais habituée et qui me faisait cruellement défaut, je répondis par une pirouette.

« Bien sûr, l'air de la campagne me manquait beaucoup. Je suis une citadine et je finis toujours par étouffer au milieu de toute cette agitation. J'ai régulièrement besoin de me ressourcer et la Normandie est parfaite pour ça. Sans parler du calme qui règne dans le coin. C'est vraiment très agréable.

- La plupart des gens ont un peu de mal à s'acclimater. Non pas à la région, mais à l'absence de confort moderne.

- Effectivement, c'est aussi mon cas... Comment faites-vous l'hiver ?

- Et bien nous avons nos poêles dans les chambres, la cheminée dans la salle commune et pour le reste, des Damart et de bonnes moufles font l'affaire. Nous pouvons nous passer du progrès même si ça n'est pas forcément facile au quotidien par moments. »

Je me demandai ce qui avait pu les pousser à venir s'installer dans ce couvent coupé du monde et aux installations très rudimentaires alors que tant d'autres devaient être beaucoup mieux aménagés. Sûrement l'abnégation et l'idée d'accueillir un projet de bénévolat dans leurs murs.

 Ce sentiment d'abnégation ne m'était pas particulièrement familier. Pourquoi aurais-je fait passer avant moi des gens qui ne le méritaient pas ? Aucune raison. Je n'étais pas du genre à me sacrifier pour la gloire et encore moins pour les autres.

Nous arrivâmes à la porte de la cuisine qui, comme toutes les portes des pièces d'usage commun, était en bois sombre et sculpté, haute et à double-battant. Un anneau métallique ancien faisait office de poignée. Sœur Marie Lazare la poussa et elle s'ouvrit sur une cuisine dont je n'aurais jamais osé rêver, surtout dans un endroit comme celui-ci.

Trônait au milieu du mur d'en face sous une grande fenêtre double en vitraux verts le magnifique piano de cuisson à bois et gaz évoqué par la sœur quelques instants plus tôt. Et il était rouge. Le rêve pour moi qui avais dans mon appartement une plaque électrique à deux feux des plus sommaire. Du côté gauche de cette grande pièce, Célestin et Augustine étaient assis côte à côte à la table de la cuisine en train de préparer une salade pour notre groupe.

Je m'extasiai en allant examiner l'imposant appareil de plus près.

« Vous vous êtes vraiment fait plaisir, c'est le nec-plus-ultra...

- Oui, c'est vrai, c'est notre petit bijou. »

Sœur Marie Lazare n'était pas complètement détachée des biens matériels et c'était drôle à voir.  Elle avait presque l'air de se sentir coupable d'apprécier ce piano. J'étais bien la première à pouvoir comprendre, je n'étais équipée que d'accessoires Ikea. Même si je n'enviais pas sa vie, je devais bien reconnaître que j'aurais pu passer quelques temps ici rien que pour pouvoir me servir de cette petite merveille. L'air de rien, je cherchai à en savoir plus.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant