DEUXIÈME PARTIE Chapitre 1

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Je grimpai dans le train et trouvai ma place. J'avais prévu diverses occupations pour ne pas voir passer le temps de trajet. J'avais pris ma tablette sur laquelle j'avais téléchargé quelques films, j'avais des jeux sur mon portable, des magazines et de la lecture plus consistante.

Le trajet se passa sans encombres, car j'eus la chance de me retrouver dans un wagon dénué de personnalités à prime de pénibilités élevées. Les gamins turbulents et mal éduqués laissés sans surveillance par des parents laxistes, les bavards invétérés qui racontent leur vie à qui veut bien l'entendre, les passifs agressifs qui veillent à avoir la sonnerie la plus longue et la plus stridente possible, les adeptes de la marche dans les allées et des allers-retours aux toilettes, ou encore le voisin côté vitre qui veut se lever toutes les cinq minutes. Tous ces gens étaient heureusement restés chez eux ce jour-là ou en tout cas n'étaient pas dans mon wagon.

Sans que je n'aie vu le temps passer, j'arrivai en gare à l'heure dite. J'allais y retrouver une personne de l'association qui devait me mener au couvent où mon groupe de travail devait être en train de se former. Je sortis de la gare et me dirigeai vers un homme d'une cinquantaine d'années, qui tenait un carton à mon nom.

Il se présenta.
« Bonjour, je suis Célestin de l'association Les murs de l'histoire, enchanté.
- Enchantée de même, je suis ravie de me joindre à vous.
- Vous avez fait bon voyage ?
- Oui, ça a été vite. Je pense qu'on peut se tutoyer ?
- Bien sûr. Il va falloir que je vous apprenne quelques trucs en maçonnerie donc autant faire simple tout de suite.
- Ah oui ? Tu es en charge du chantier ?
- Pas seulement moi, il y a d'autres responsables. Je suis artisan maçon et je me mets bénévolement au service de l'association pendant mes congés. Mais comme tu peux voir, je suis aussi taxi par intermittence.
- C'est plutôt bien d'avoir plusieurs cordes à son arc...
- Oui. D'ailleurs, quand tu repartiras d'ici, tu seras maçon, tailleuse de pierre et sûrement un peu architecte.
- Tant mieux, ça m'aidera à retrouver du travail plus facilement alors... dis-je en plaisantant.
- Tu es au chômage ?
- Oui, j'ai été fraîchement promue demandeuse d'emploi et Ministre de l'intérieur de chez moi. Je suis venue me changer les idées avant de me lancer dans la quête d'un nouveau boulot. J'avais besoin de faire une pause.
- Je comprends, ma fille aussi cherche du travail. Les temps sont durs pour tout le monde. Elle est secrétaire de direction et elle a perdu son poste quand sa boîte a fait faillite. Ça fait six mois qu'elle cherche, mais elle n'a rien trouvé pour l'instant.
- Ça me console, je ne suis pas la seule à galérer alors...
- Loin de là ! Ça va de mal en pis dans ce pays. On n'est pas près d'avoir aux commandes des politiciens suffisamment couillus pour faire les réformes qu'il faudrait. En France, tout ce qu'on sait faire, c'est taxer le peuple à tort et à travers et protéger les riches. Rien n'a changé depuis les rois de France en fait. Ces pourritures d'élites ont le droit de cuissage et le peuple se fait entuber à longueur de temps. »

Il commença à chantonner Je taxe soir et matin sur l'air de Je chante de Charles Trenet.
N'étant absolument pas fan de politique et inculte en la matière au point de ne pas connaître le nom du Premier ministre, qui n'était à mes yeux qu'un escroc comme tous les politiques, je m'abstins de tout commentaire.

Nous arrivâmes à la voiture, une camionnette utilitaire blanche. Célestin prit mon sac et le mit dans le coffre. Il avait des mains de travailleur aux doigts épais et à la peau sèche et calleuse. Il n'avait vraiment pas une allure à s'appeler Célestin. Ce prénom masculin me laissait plutôt imaginer un homme fragile et raffiné et lui était tout le contraire. Brut de décoffrage, Célestin était une montagne de muscles, sûrement sculpté par des années passées à exécuter des travaux difficiles. Ses épaules larges étaient surmontées d'un visage jovial, rond et aux joues couperosées, posé sur un cou épais. Je le voyais bien descendre son petit litron de rouge à table. Pour l'heure, il était en tenue de chantier, ce qui allait sûrement être bientôt mon cas aussi.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant