Chapitre 3

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C'était donc bien vrai, il s'était produit une sorte de miracle. Cette femme avait fait passer mon père du statut de maladroit chronique ascendant gaffeur irrécupérable à celui de pro de la manipulation de couteau. Pour un peu, je m'attendais à ce qu'il attrape son outil par la lame et l'envoie se planter au cœur de la cible du jeu de fléchettes qui se trouvait à l'autre bout du salon. Je restai pantoise, ne trouvant rien à dire pour une fois. Mon père attrapa le dernier oignon, releva la tête et nota mon désarroi d'un air narquois.

« Ça t'en bouche un coin, pas vrai ? Tu ne me croyais pas tout à l'heure...

- Non, c'est vrai. Et j'avoue que même maintenant, j'ai du mal à en croire mes yeux. Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

- Rien de surnaturel, ne t'inquiète pas ! me dit-il avec le sourire. Juste de l'entraînement. Au début, je ne te dis pas que je ne me suis jamais coupé... Mais avec la pratique, on acquiert de la rapidité et de l'assurance. C'est comme tout dans la vie ma chérie... Si tu veux arriver à quelque chose, il suffit juste d'y passer le temps nécessaire. Rien de bien compliqué... Pas besoin de génie, pas besoin de talent, c'est juste une question de pratique !

- C'est vrai qu'à te regarder, on ne croirait pas que tu es un ancien maladroit.

- Comme quoi tout peut arriver... Regarde ça, avec agilesse et soupleté ! me fit-il avec un clin d'œil en reprenant sa découpe à toute allure. Il suffit d'avoir la motivation pour. »

Ce mot de motivation fit remonter ma mauvaise conscience à la surface. Je n'avais pas encore annoncé à mon père que j'avais été virée. J'avais repoussé ce moment autant que possible, mais il faudrait bien que j'entre dans le vif du sujet avant de repartir. Et j'allais avoir besoin de beaucoup de motivation pour ce faire, tout comme j'en aurais besoin pour trouver un travail en rentrant. Je n'étais pas sans savoir qu'on pouvait vite sombrer dans la déprime quand on se retrouvais enfermée seule avec soi-même sans d'autre perspective qu'un avenir incertain.

Cette sombre pensée suffit à me convaincre que ça n'était pas le bon moment. L'heure n'était pas aux pleurnicheries mais plutôt aux réjouissances car mon père savait dorénavant couper un oignon sans se couper un doigt. Comme je ne voulais pas gâcher cet événement et que je ne me sentais pas d'humeur à parler de ma mauvais fortune sans y mettre un minimum d'aigreur, de rancœur et d'amertume, je décidai de repousser à plus tard notre conversation.

Quitte à devoir avouer, autant en tirer profit pour pouvoir faire part de ma haine à l'endroit des acteurs de ce revers. Je n'allais pas évoquer cet épisode devant mon père sans déverser ma bile au passage et en arroser copieusement ceux qui méritaient mon courroux.

Nous finîmes de préparer la tarte aux poireaux en discutant des cours de cuisine. Je préparai la pâte à tarte pendant que mon père réalisait l'appareil. Cette tarte était un de nos grands classiques de famille, un des plats que mon père et moi cuisinions les yeux fermés. Quand j'étais plus jeune et que d'autres copains de classe réclamaient des frites, je réclamais de mon côté une tarte aux poireaux. C'était à l'époque le seul moyen de me faire manger des légumes et mon père en avait usé et abusé jusqu'à ce que mon palais se développe et que j'apprenne à aimer d'autres choses. Je ne m'étais pas lassée depuis et c'était toujours un de mes plats préférés.

Sans qu'aucune anicroche ne vienne entacher le déroulement des opérations, la tarte finit sa course au four et je mis la table. J'étais en train de poser les assiettes lorsque retentit la sonnerie  du portable de mon père. Avant même que le deuxième coup ne se fasse entendre, il avait déjà décroché. Pratiquement au garde-à-vous, il était à l'affût le combiné à l'oreille, sûrement dans le secret espoir que quelqu'un viendrait lui confier une nouvelle mission à accomplir.

À la recherche de l'homme perduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant