Chapitre 9 - Et pourquoi pas ?

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Rimmel - Francesco de Gregori

Voilà déjà vingt minutes que j'attends le bus, le regard dans le vide, transparente aux yeux du monde. Je remarque néanmoins que la vieille dame au chapeau mauve et la maman overbookée qui patientaient, elles aussi, ont lâché l'affaire. Je crois que je vais les imiter. Après tout, il fait bon, le ciel a l'air plutôt clément et je ne suis pas trop chargée.

Les petits défis personnels permettent de prendre toute la place dans mon esprit. En me focalisant sur le nom des rues et en repérant les endroits qui ont l'air intéressants, j'oublie le reste. On va tenter de faire le trajet sans Google maps !

Je quitte l'effervescence de la Piazza del Popolo pour emprunter la via Ripetta. Elle compose avec la touristique via del Corso et la fastueuse via del Babuino, la célèbre patte d'oie découlant de la place. Ici, pas de dessinateurs à la craie qui reproduisent des portraits de Maradona ou de boutiques de luxe remplies de touristes. La rue est calme, ponctuée de tanneries ou de trattorie où les serveurs commencent à dresser les tables pour le service du soir. La plupart lèvent la tête pour regarder qui passe par là, je pense que c'est ancré dans leur culture.

À Rome, les gens se regardent encore, se sourient et, il faut le dire, se courtisent. C'est à la fois par sympathie, car beaucoup de personnes d'un même quartier se connaissent et se saluent, mais aussi par jeu de séduction ou simplement pour appâter le client.

C'est un peu gênant les premiers temps, mais on s'y fait. Maintenant, je rends le regard ou le sourire à celui ou celle qui me le donne. Ça parait fou, mais l'attention de ses inconnus envers une jeune Française au regard triste me réchauffe le cœur.

Via Ripetta s'éteint sur les berges du Tevere, elles sont bien plus paisibles que celles de la Seine. C'est sans doute dû aux impressionnants platanes qui bordent le Lungotevere, avec leur ramage qui semble se déverser dans le fleuve. Appuyée contre le parapet, le fil de l'eau m'hypnotise, si bien que j'en oublie le vacarme lointain des klaxons à l'heure de pointe. Quelques feuilles mortes virevoltent jusqu'à atteindre l'eau. Je les suis du regard. Je ne pense à rien, ou presque.

Il faut me remettre en route.

Je change de rive par le pont qui fait face à l'impressionnant bâtiment entièrement sculpté du Palais de Justice, avant de me retrouver au sein de l'aire piétonne du Castel Sant'Angelo. Là, de nombreuses échoppes sont ouvertes et font l'animation des passants. Moi, je cherche simplement à les éviter lorsqu'ils me rentrent dedans sans regarder où ils vont.

Au niveau du pont du Bernin, devant le Castello, je sens un petit pincement. Ce pont, peut-être le plus emblématique de la ville, est l'un des points de rassemblement les plus romantiques de Rome. Les uns s'enlacent sur le mur d'entrée du château, les autres se prennent en photo, sourire aux lèvres, d'autres encore s'extasient, main dans la main, devant la beauté de Saint-Pierre au coucher du soleil. Même les statues de marbre se font face et se répondent.

Et au milieu de cette ville dans laquelle tout marche par paire, il y a moi qui erre, seule, les yeux rouges.

Il y a des soirées plus difficiles que d'autres. Il m'arrive encore souvent d'imaginer que Lâche m'a fait une surprise et qu'il m'attend devant mon immeuble. Les déceptions successives laissent toujours le même goût amer. Afin de ne pas céder à la dépression, j'ouvre le frigo et remercie intérieurement la nourriture d'exister.

Ce soir, la cheffe Chiara vous propose sa célèbre quiche tomate-mozza saupoudrée de basilic frais !

Pendant que mon œuvre prend forme au contact de la chaleur tournante du four, je me vautre de tout mon long dans les bras douillets de mon canapé. Trente minutes à attendre et je n'ai rien à faire. Je pourrais appeler mes copines, ça fait longtemps.

Ça ira mieux à RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant