Prima estate - Erlend oye
Demain, j'aurai vingt-quatre ans et je le vis plutôt bien. L'année prochaine sera une étape un peu plus officielle, mais pour l'instant, je m'occupe de faire honneur à ma jeunesse. Nous sommes vendredi et je commence dès ce soir à fêter cet évènement, qui durera à priori tout le week-end.
Les hostilités démarrent en douceur, avec un barbecue peu ordinaire. Victor a tenu à m'y convier. À force de se rendre à la messe, il est devenu ami avec le Père Vincent, jeune trentenaire tout droit sorti du séminaire, qui l'a invité pour une soirée sur le toit du palais Saint-Louis. Il s'agit d'un ancien monastère accolé à l'église Saint-Louis-des-Français, véritable point de chute pour les ressortissants venus à Rome en pèlerinage.
Comme souvent maintenant, je me rends à pied au point de rendez-vous. Je me repère de mieux en mieux dans la ville éternelle et je serpente, de ruelles en ruelles, en ouvrant grand les yeux. Les journées s'allongent, le soleil est encore au-dessus des toits et le printemps redonne à la vie son éclat, que l'hiver avait mis au placard.
En me prenant presque pour une vraie romaine, je traverse la Piazza Navona, lunettes de soleil sur le nez, le port de tête altier. Contrairement à d'habitude, je ne m'attarde guère devant la fontaine des Quattro fiumi et traverse la rue sans m'inquiéter des passages piétons. Les habitants de cette ville sont chanceux, mais relativement inconscients lorsqu'il s'agit de la circulation.
Devant les grandes portes au pied de la façade impressionnante de l'église sont clauses. Je suis un peu déçue. Je pensais pouvoir la visiter, mais ce sera pour une prochaine fois.
— Elle ferme tôt dans l'après-midi, m'indique Victor en me faisant la bise, mi dispiace.
— Je croyais qu'à force de te voir, ils t'auraient donné le double des clés !
— Tes lunettes de divas sont outrageusement grandes, tu le sais ça ? me renvoie-t-il, aussi sec.
Ok, je l'avais bien cherchée celle-là.
Sur la droite, se trouve l'entrée du monastère. En sonnant à l'interphone, mon ami ne manque pas de me rappeler les règles de bienséance :
— N'oublie pas, tu dis bonjour, mon Père !
— Oui, mon Frère, répliqué-je avec un air faussement innocent.
— Tu n'es qu'une pécheresse impertinente !
Effectivement, il est peu probable que j'aille au paradis si je continue à trainer sur des applications de rencontres et à enchaîner les rendez-vous galants !
Je reprends mon sérieux lorsque le portail s'ouvre seul, dans un grand fracas électronique. La modernité de cette entrée est totalement décalée par rapport au lieu. Ça me fait sourire. J'emboîte le pas de Victor à travers un long corridor.
Creusées dans les murs au crépi effiloché, des niches renferment des idoles éclairées par des guirlandes lumineuses. Elles souhaitent la bienvenue aux pèlerins, venus passer quelques nuits dans leur Airbnb monacale.
Après une ascension de plusieurs étages par un escalier monumental, Victor m'entraîne d'une porte dérobée à une autre. J'entrevois certaines pièces du palais, dont la décoration se résume à l'affichage de portraits de rois de France et quelques crucifix, au-dessus des linteaux.
— Je suis sûre que c'est rempli de fantômes ici ! chuchoté-je, sérieusement préoccupée par la présence d'esprits.
— Si tu savais, me glisse Victor, mimant l'effroi.

VOUS LISEZ
Ça ira mieux à Rome
General Fiction✨ GAGNANTE DU PRIX WATTYS 2023 ✨ Chiara n'est plus que l'ombre d'elle-même lorsqu'elle débute son année d'étude à Rome. Son petit ami, surnommé Lâche, l'a laissé tomber sans aucun scrupule. À bout de souffle, elle va néanmoins s'accrocher et surmon...