Chapitre 27 - Quand on s'y attend le moins

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Vertigine - Levante, Altarboy

Je sonne chez Giulia qui m'accueille en me sautant au cou. Je lève la tête, pour éviter que mon rouge à lèvre ne colle à ses boucles dorées et manque de faire tomber le carton à pizza, suintant d'huile bien grasse.

C'est à priori un samedi soir ordinaire, comme nous en avons déjà vécu une flopée depuis notre rencontre. Les chips, la bouteille de rouge et l'ordinateur transformé en écran de karaoké nous attendent sur la table de la cuisine.

Nous sentons que cette soirée à un goût d'adieu. Je refuse de compter le nombre de samedis soir qu'il me reste avant de prendre toutes mes affaires et de refermer cette parenthèse enchantée. Giulia a vécu la même chose l'année dernière, à Paris et nous n'avons pas besoin d'en parler pour comprendre que l'on préfère taire le sujet.

— J'ai une surprise pour toi, me dit-elle, les yeux brillants.

Elle court dans sa chambre avant d'en ressortir en me tendant un paquet-cadeau.

— C'est pas grand-chose hein, prévient-elle. Simplement un petit souvenir.

Émue, j'arrache le papier cartonné, recouvert de petits cœurs dessinés au stylo Bic. Je découvre un carnet rempli de nos photos, des endroits où nous sommes allés ensemble, ainsi que sa playlist de chansons italiennes et tout un tas de dessins et autres billets d'entrée de boîte de nuit, que je tiens entre mes mains.

— Tu es officiellement mon double d'une autre nationalité ! je ris, touchée.

Après un gros câlin de remerciement, nous débouchons le rouge et feuilletons ensemble nos mémoires en nous remémorant chaque instant. Nous nous amusons comme deux ados et les voisins doivent être à bout de nous entendre glousser sur le balcon.

Alors que nous nous cassons la voix en nous servant de la télécommande comme d'un micro, le téléphone de Giulia sonne. C'est Livio, ils sont déjà au poste, devant le Meeting. Nous clôturons notre show et nous nous empressons de les rejoindre.

Comme d'habitude, ils sont à notre place, assis sur notre banc, en face de l'entrée du bar. Depuis notre rencontre, les choses ont peu évolué. Si ce n'est que j'ai trouvé ma place au sein de ce groupe et que nous comptons désormais des amoureux parmi la troupe.

Giulia et Livio forment un couple absolument parfait. Il s'agit de l'union de deux meilleurs amis qui ont fini par se dire je t'aime. Ils ont réussi le pari de maintenir leur équilibre et leur amitié tout en apprenant à découvrir leur intimité. Je suis sincèrement touchée par cet amour qui émane de ces deux êtres, si particuliers pour moi.

Gabriella est venue accompagnée de deux amis : Lara et Nicola. Lara est aussi petite et ronde que Nicola est grand et fin. Depuis son arrivée, en tant que bonne italienne qui se respecte, Lara agite sans cesse ses mains aux ongles manucurés et exagérément longs. Elle raconte avec ferveur son début de soirée di merda :

No, ma ragazzi, je me supporte plus moi-même ! Je me suis brûlé le front avec mon fer à lisser, après, Nico qui me dit qu'il veut pas venir. Moi pendant que je le harcèle au téléphone pour qu'il vienne, je me tape le pied dans ma table basse, donc j'ai pas pu mettre mes talons. Et le pompon sur le gâteau, j'ai oublié mes clés de voiture chez ma mère, donc j'ai dû venir en métro. Basta, basta...

Le Nico en question semble davantage en retrait. Il rit aux blagues de son amie, (ou est-ce plutôt sa copine ?) sans pour autant surenchérir sur son monologue mélodramatique, qui n'en finit plus.

— Lara, l'interrompt Gabriella, avec tous ces mots que tu débites, tu as peut-être soif, non ?

— Évidemment que j'ai soif, amore, tu crois que je suis venue ici pour parler ? Si c'était le cas, je serais allée chez ma psy, ç'aurait été plus efficace !

Dans l'hilarité générale, elles entrent à l'intérieur du bar pour commander un verre. Tandis que Giulia et Livio sont en train de minauder l'un sur l'autre, appuyés au capot d'une voiture, je me retourne vers Nicola. Les yeux rivés sur son téléphone, il semble ne pas s'être aperçu qu'il ne reste que moi à qui faire la conversation.

Il relève soudain la tête et, à mon grand soulagement, il engage finalement la conversation.

— C'est toi la Française ? me lance-t-il, d'un ton plus franc que jusqu'alors, où il se tenait presque à l'écart.

— C'est bien moi, oui. Je n'avais pas conscience de ma notoriété.

— Une Française avec un prénom italien, il n'y en a pas des masses qui trainent autour de la Piazza Bologna !

Et de cet échange relativement banal, notre conversation prend son envol. Elle dure. Longtemps. Peut-être des heures. D'un simple échange cordial, nous apprenons à nous connaître.

Nicola est Sicilien, comme ma Nonna et c'est déjà un très bon début. Lorsque nous nous installons sur le banc qui vient de se libérer, je remarque à la lumière des réverbères que ses yeux sont d'un bleu transparent et pourtant intense. Je suis d'ailleurs ravie de m'asseoir enfin. Le Sicilien est tellement grand, que j'en avais presque mal à la nuque de le regarder dans les yeux !

Je comprends rapidement que Lara est une amie de longue date (il le glisse de façon subtile dans la conversation) et que ce soir, il n'avait pas envie de sortir :

— Elle m'a forcée ! Je lui avais dit oui, il y a plusieurs jours et une fois arrivé chez moi, après ma journée de travail, j'avais complètement oublié.

— C'est sûr que c'est difficile de se remotiver après une longue journée... Tu travailles dans quoi ?

— Je suis avocat, spécialisé dans le marché de l'art.

— Quoi ?! m'exclamé-je, interloquée. Je suis en master d'histoire de l'art !

Nous évoquons tous les plus grands artistes de notre époque et ceux du temps passé. Sa culture générale et son éloquence sont impressionnantes. Il choisit ses mots avec soin, sa diction est parfaite et il semble avoir des notions dans tous les domaines.

Je suis troublée à la fois par ses grands yeux bleus et ses dents blanches qui s'alignent en un sourire divin, mais aussi par sa prestance. Comment se fait-il que je n'avais pas remarqué tout cela au début de la soirée ?

Nous parlons tous les deux en oubliant tous les autres. Je crois que Gabriella nous a posé une question à un moment donné, mais je ne saurais dire quoi exactement.

Ai-je mentionné qu'il n'est pas brun ?

Ça ira mieux à RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant