Chapitre 17 - Principessa

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Roma Roma - Venditti

À Rome, le lundi n'est plus une montagne à gravir. Ce n'est plus un réveil qui sonne trop tôt, un weekend que l'on aurait voulu prolonger. C'est une journée ensoleillée qui commence en sautant du lit sans rechigner, sans me plaindre d'être seulement au début de la semaine. Bref, une journée pleine de promesses.

Après une nouvelle et enrichissante matinée de cours, je ne me dépêche plus de rentrer chez moi retrouver ma dépression. Non. Désormais, je traîne à la cafet avec Pierre, Thomas et Victor, mes "gardes du corps", comme ils aiment s'appeler.

Principessa, où voulez-vous déjeuner aujourd'hui ?

Ce surnom, littéralement Princesse, est apparu naturellement chez eux. Ce n'est pas parce que je dirige le groupe, c'est plutôt parce qu'ils me laissent toujours décider du programme, goûter le vin, m'assoir dans le bus quand il n'y a qu'une place de libre, ils m'entourent lorsqu'il y a du monde et que je risque de me faire bousculer, comme si j'étais un petit être fragile qu'il faut à tout prix protéger.

Honnêtement, que l'on m'appelle Principessa me va très bien. Je trouve ça mignon et en tant que grande fan de Disney, c'est un peu le rêve qui se réalise enfin !

Mondo Arancino, ça vous dit ?

Parfois, mes envies se tournent vers des arancini, suivis de cannoli à la pistache, deux spécialités siciliennes tout à fait exquises. Parfois, notre choix s'oriente plutôt du côté des focaccie ou sur une part de pizza al taglio. Nous tâchons de toujours varier les plaisirs. C'est après le café que nos chemins se séparent pour l'après-midi.

Pierre rejoint souvent Laurie et Auriane dans le quartier de San Lorenzo, pendant que Thomas retourne en classe. Il s'est fait avoir en début d'année en choisissant des cours garantissant trop peu de crédits ECTS. Il a été obligé de charger son planning pour pouvoir en valider suffisamment. Il lui arrive d'abandonner et de sécher lorsque notre programme l'intéresse plus que la matière en question, mais ça reste exceptionnel. Thomas a un petit côté premier de la classe et se sent mal à l'aise lorsqu'il s'agit de frauder.

Victor et moi, nous retrouvons donc tous les deux et piochons dans notre liste interminable pour aller visiter une église baroque, un musée étrusque ou des thermes antiques encore debout. Cette fois-ci, ce sera le Chiostro del Bramante, un ancien cloître édifié par Bramante en 1500 et qui accueille aujourd'hui diverses expositions d'art. C'est évidemment Victor qui a trouvé ce plan. C'est le genre de personne qui connaît les endroits branchés avant tout le monde, qui déniche les bonnes adresses et les teste dans la foulée :

— Il parait qu'il y a un salon de thé avec une verrière qui donne sur l'intérieur de l'église d'à côté.

— Santa Maria della Pace ?

— Comment tu sais ça toi ?

— On en a parlé l'autre jour, tu ne t'en souviens pas ? Pendant le cours de Peintures et sculptures ?

Voyant l'air perplexe de Victor, je poursuis comme si c'était évident :

— On étudiait la fresque de Raffaele, les Sibylles, au-dessus de l'arcade d'une des chapelles.

— Mouai, peut-être. Toute façon, tu n'as aucun mérite. Toutes les églises s'appellent Santa Maria machin truc et Raffaele a peint des fresques dans toute la ville, lâche-t-il en tournant les talons, arborant fièrement son menton relevé, caractéristique de son humour pince-sans-rire.

J'adore cet air faussement courroucé qu'il prend.

Effectivement, l'ancien cloître est sublime, tout comme l'église attenante que l'on découvre, au milieu d'une minuscule rue, désertée par les touristes. La façade étroite semble tout engoncée et l'on se demande qui de l'église ou des bâtiments étaient là en premier !

L'intérieur est bien plus vaste qu'il n'y paraît. Le manque de lumière a permis de garder quasiment intactes toutes les fresques des chapelles qui composent la nef. Les Sibylles m'émerveillent. Leurs visages rayonnent dans la pénombre et l'on croirait qu'elles sont sur le point de briser le silence contemplatif.

Je ne résiste pas à l'envie de prendre une photo et de l'envoyer à Sourire.

À : Sourire

Tu connais cet endroit ? C'est magnifique !

De : Sourire

Pas mal, mais les femmes sont un peu trop couvertes à mon goût. Je préfère les peintures où il y a plus de choses à voir ! Ahahah !

Je range mon téléphone dans mon sac en levant les yeux au ciel. Je renonce officiellement à transformer Sourire en esthète averti. Les ingénieurs sont-ils à ce point hermétiques à la beauté ? J'ai essayé plusieurs fois, lors de nos balades, de l'initier aux classiques de sa propre ville et notamment en lui parlant des maîtres comme Michelangelo, Bernini et tous leurs copains.

Rien à faire, ça ne l'intéresse pas. Je sais que les comparaisons ne sont jamais à propos, mais Lâche, lui, écoutait attentivement mes explications et m'accompagnait volontiers visiter des lieux culturels. Même si l'art était éloigné de ses domaines de prédilections, il faisait au moins semblant !

Sourire est un bon prof d'italien et un bon amant, c'est ce qu'on lui demande finalement. Et encore, même cette dernière partie est à revoir selon moi ! Il alimente notre conversation virtuelle, mais lorsqu'il s'agit de se fixer un nouveau rendez-vous, il freine des quatre fers. Toutes les excuses sont bonnes pour repousser le moment où l'on se verra de nouveau.

Tant pis pour lui. De mon côté, je continue ma vie romaine et je traine de temps en temps sur l'application dans le bus ou le métro. J'ai trouvé un Sourire, je peux en trouver un deuxième !

Après mes visites et balades avec Victor, je prends le temps de faire une sieste réparatrice après des heures de marche éreintantes lors de nos après-midis découverte. Vingt minutes suffisent à faire la mise à jour du cerveau et des jambes avant de sauter dans la douche et se préparer à sortir de nouveau.

Car à Rome, le lundi est le nouveau vendredi.

Et oui, chaque lundi soir, une fête Erasmus est organisée sur une péniche, située juste à côté de la Piazza Cavour. Pas besoin de préciser qui a dégoté l'adresse ! Depuis plusieurs semaines, notre petit groupe de Francesi a investi une table sur le pont supérieur, pas très loin de la piste de danse. Le buffet illimité est abondant et les mojitos très bien dosés.

C'est toujours marrant de voir comment évolue la soirée. Au début, chaque groupe discute dans sa propre langue et tout le monde demeure tranquille autour de sa table. Deux heures plus tard, le lieu se transforme en tour de Babel flottante.

Dime, Chiara, ¿ De dónde vienes ? me demande un mec qui s'appelle Jorge et qui a cru que j'étais bilingue en espagnol.

J'ai honte, il n'arrête pas de me parler et je n'arrive même pas à prononcer son prénom. Trop de -r différents et vue l'heure, ma prononciation est limitée.

From France.

I though you're from Italy, sweet heart, I mean... You look sooooo Italian, you know...

L'Américaine qui l'accompagne, et dont je n'ai pas retenu le nom, tangue et son verre vide atteste que ce n'est pas à cause de la péniche. Mais pourquoi ponctuent-ils sans arrêt leurs phrases par I mean ou You know ?

À côté de moi, j'entends Pierre et Thomas sortir leurs rames pour draguer un groupe de filles vraisemblablement suédoises. Ils jouent la carte des Frenchies qui leur offrent du champagne. Pas sûre que ça marche.

Pendant ce temps-là, j'aperçois Auriane, qui sourit poliment à un Allemand un peu trop collant et qui semble avoir besoin d'un coup de main. J'en profite pour quitter brutalement l'Espagnol et l'Américaine. Ils trouveront bien quelque chose à se dire !

Nous rejoignons Victor et Laurie au milieu des danseurs déchaînés et rentrons lorsque les lumières se rallument vers une heure du matin.

Je suis devenue fan de ce genre de moment durant lesquels toutes les cultures entrent en collision et où la barrière de la langue nous oblige à nous concentrer sur l'essentiel : rire, danser et s'amuser.

Ça ira mieux à RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant