Chapitre 26 - Rendez-vous devant un cupcake

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Je profite d'être plongée dans mes dessins, pour faire le bilan de ces dernières semaines qui ont filé à la vitesse de la lumière. Les examens approchent et malgré l'été qui s'installe dans les nuits de Rome, je me force à m'appliquer. J'ai appris tellement de choses que j'ai envie que mes professeurs soient fiers de moi. Je souhaite aussi prouver que les Erasmus ne sont pas là uniquement pour faire la fête, même si j'ai énormément profité.

Après cette belle soirée d'anniversaire, j'ai revu le glacier uniquement pour ce qu'il fait de mieux : ses glaces. Et c'est très bien comme ça. Nous avons réussi à faire abstraction de ce qu'il s'était passé entre nous et savons désormais nous apprécier en tant qu'amis. Il prépare son voyage à Buenos Aires et j'espère sincèrement que cette relation à — longue — distance fonctionnera.

Sourire me donne de ses nouvelles de temps en temps. Ça me fait plaisir. Comme prévu, il a revu son ex, qui lui a annoncé emménager avec son nouveau compagnon. Autant dire qu'il était ravi de l'apprendre. Pour lui remonter le moral, je lui ai lu le message de Lâche et je dois dire que nous nous sommes allègrement moqués de cette déclaration pathétique.

Malgré ce nouveau coup dur, mon pansement préféré s'éclate dans son travail à Milan et n'arrête pas de me rappeler que sa proposition tient toujours. Si par hasard l'envie me prenait de lui rendre visite, il serait enchanté de m'accueillir chez lui, loin de sa bonne vieille maman pour l'espionner.

Je crois que je peux officiellement lui avouer que ça n'arrivera jamais. Cela dit, si cette année romaine m'a bien appris une chose, c'est qu'il ne faut jamais essayer de deviner de quoi demain sera fait ! Disons simplement que revoir Sourire et passer un week-end à ses côtés n'est pas dans mes priorités.

La sonnerie de mon portable me signifie que j'ai reçu un texto.


De : L'Américain

Hi Chiara ! Je suis à Rome cet après-midi, ça te dit de faire un tour ?


Je m'étais presque faite à l'idée que je ne reverrai plus jamais ce bellâtre. Si je n'étais pas amie avec lui sur Facebook, j'aurais pu croire que j'avais rêvé notre rencontre. Évidemment, j'ai dit oui.

Une heure plus tard, me voilà sur la Piazza Venezia comme il me l'avait indiqué, sans plus de précision. Je lui demande où il se trouve, tout en observant autour de moi cet immense rond-point où chaque recoin est propice à un lieu de rendez-vous.


De : L'Américain

In front of the cupcake-building.


Le cupcake-building ?! Il me faut quelques secondes pour comprendre à quel bâtiment il fait allusion. Il est sérieusement en train de comparer le Monument à Vittorio Emanuele II à un cupcake ?! Les Italiens le surnomment la machine à écrire, à cause de son style néoclassique, il faut l'avouer, très chargé. Mais un cupcake ? Il fallait y penser !

Je secoue la tête en riant et m'avance vers les grandes grilles gardées par des militaires immobiles. Je n'ai aucun mal à trouver l'Américain parmi la foule. Il arbore une casquette de football, un tee-shirt dévoilant ses bras, ô combien musclés, et un jeans moulant, pour mon plus grand plaisir.

Il me voit à son tour et s'approche pour me faire la bise avec un petit sourire en coin, comme pour dire : tu vois, j'apprends vite vos étranges mœurs d'Européens. Afin d'éviter le moment délicat du que fait-on, j'avais déjà prévu le coup.

Tu es déjà monté sur la terrasse ? Tout en haut ? demandai-je, en faisant un signe de tête vers le sommet du bâtiment-cupcake.

— Non, je ne savais même pas que c'était possible.

À l'entrée du musée du Rinascimento, sur la gauche, des marches toutes étriquées nous conduisent au sommet. L'effet de tunnel ne rend que plus belle l'arrivée sur la terrasse grandiose, qui offre un panorama à trois cent soixante degrés.

Alors que le soleil a entamé sa chute pour laisser place à la nuit, la ville danse sous nos yeux, au milieu de ses sept collines. C'est à couper le souffle.

Je pourrais rester des heures, accoudée à la balustrade, à contempler la vue. Je sors mon carnet de mon sac et dans un geste, je lui demande :

— Ça ne t'embête pas si je...

— Non, je t'en pries ! Je vais faire le tour en attendant.

L'Américain part se balader les mains dans les poches, tandis que je m'applique à dessiner la skyline romaine. Il ne tarde pas à revenir. Contrairement à moi, il ne semble pas si touché que ça. Il enlève et remet frénétiquement sa casquette en place, tout en coiffant ses cheveux en arrière.

Je fais une tentative pour lancer la conversation :

— C'est beau, n'est-ce pas ?

— Yeah. That's cool.

Cool ?! Tu trouves ça "cool" et c'est tout ? Tu es myope et tu ne veux pas me le dire, c'est ça ?

Je me rends rapidement compte que la situation s'enlise. Je ne sais pas quoi répondre à sa remarque, très pointue, sur ce qu'il a devant les yeux et il n'a pas l'air de chercher une nouvelle observation à ajouter. À ce moment-là, j'ai envie qu'il redescende en me laissant seule, en tête-à-tête avec ma ville, jusqu'à la tombée du jour et que les caméras de surveillance ne détectent ma présence.

Sentant que je suis en train de perdre mon acolyte, je finis par abandonner et nous redescendons. Après une rapide balade autour du forum, nous devons déjà nous quitter.

— On se revoit bientôt, ok ? me promet-il sans en penser un traitre mot. C'était cool comme moment, en tout cas, merci.

Il me sert le bras en me lançant un sourire de dingue. Je suis à la fois crispée et de nouveau sous le charme de cette coquille sublime, mais un peu trop vide de sensibilité à mon goût. Son regard transparent, ancré dans le mien, réussit une nouvelle fois à me troubler. Il recule de deux pas, fait un geste presque imperceptible de la tête, avance de nouveau et vient déposer un baiser sur mes lèvres.

Il repart comme si de rien n'était. Me laissant là, au milieu de la cohue, devant les distributeurs de tickets de métro, avec le goût de ses lèvres sur les miennes.

Oh my god !

Je n'ai pas la moindre idée de ce que ce baiser peut bien signifier, mais j'ai l'intime conviction que je ne reverrai plus l'Américain. Rencontrer quelqu'un comme lui m'a fait prendre conscience d'une chose : le physique, c'est agréable, certes, mais ça ne fait pas tout.

L'Américain représente mon idéal masculin vu de l'extérieur, pour autant, à aucun moment, je n'ai ressenti une connexion comme j'ai pu l'avoir avec Lâche. Oui, je sais, encore lui. Mais il reste, malgré tout, la rencontre que personne n'a su éclipser. 

Entre le petit Glacier et son Argentine, Sourire exilé à Milan, l'Américain qui ne me correspond pas sur le plan émotionnel, je préfère abandonner ces histoires éphémères et ne garder uniquement ce qu'elles m'ont apporté de meilleur. Grâce à eux, je me connais mieux. Je sais ce que je veux et surtout ce que je ne veux pas.

Le destin a bien fait les choses et m'a remise sur pied. Il fallait me raboter un peu avant de m'offrir quelqu'un d'autre à aimer et qui m'aimera en retour. Je lui fais confiance, il mettra la bonne personne sur ma route. Après tout, il m'a rarement déçue. J'ai déjà reçu mon lot d'amour et ce n'était pas le moment de m'en reproposer. De toute façon, je n'aurais pas été capable de rebondir comme je l'ai fait.

Sur ces pensées philosophiques, je déverrouille mon téléphone et supprime l'application, sans une seule hésitation. Je suis bien décidée à profiter de mes derniers instants à Rome, avec mes amis. L'amour ? On verra ça plus tard. 

Ça ira mieux à RomeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant